Une note de lecture de Georges Guillain à propos d'Olivier Barbarant et du n° 42 de la revue Contre-allées sur le site des Découvreurs.
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Oui, l’émotion. L’émotion. Quand au bois par exemple il y a un oiseau. Que son chant vous arrête. Et vous fait rougir. Mais combien sommes-nous aujourd’hui à oser, mais aussi savoir, mettre en forme nos émotions. Les sublimer comme l’aura fait Rimbaud, en illuminations. Pour lui et pour les autres.
Ce n’est pas tout-à-fait d’émotion mais de sensiblerie, de sentimentalité, que part le texte que le poète Olivier Barbarant a placé, dans le dernier numéro de la revue Contre-Allées[1], dans la série intitulée par lui Un printemps divers. Réfléchissant à la triste situation dans laquelle, selon lui[2], nous nous trouvons plongés de ne pouvoir plus, sans ridicule ou sans honte, exprimer les mouvements, élans, entraînements, remuements de sensibilité qui nous traversent, renversent, en bien des occasions pour nous majeures de l’existence, il dénonce le caractère convenu de cette posture qui ne laisse finalement d’autre choix que de garder pour soi, sans en rien faire, la mémoire de ce qui nous aura ému.
Ainsi, « au poncif du larmoiement » écrit-il, ne pouvons-nous opposer que « le catéchisme de l’ironie ». C’est vrai que bien des confessions, bien des sentiments affichés ont quelque chose en eux de malpropres. Animés on le voit trop bien par le souci de l’image. Nourris de mauvaise littérature plus que de réalité. Mais diable ! comme l’écrit Paul Audi, dans un livre majeur, si l’esprit doit toujours continuer à jouer son rôle pour nous détourner des pièges de la barbarie, il est indispensable d’y associer « le cœur, si par ce mot l’on entend seulement la dimension de l’affectivité où se manifestent ce Jouir et/ou ce Souffrir en quoi se donne à sentir la passibilité même du corps de chair » qui est le nôtre[3].
Car pour faire œuvre de civilisation, écrit encore Paul Audi, il ne suffit pas d’en appeler aux forces de l’esprit. Il faut dans cet appel « faire régner son cœur au nom […] de quelques préférences […] tels l’élévation de l’âme, le raffinement de l’esprit, la noblesse des sentiments, la dignité de caractère » autant d’idéaux ajoute-t-il qu’on trouvera « à coup sûr surannés, voire ridiculement provocants mais dont le sens éthique s’il en est, fait encore battre le cœur de certains, même si ceux-là s’aperçoivent avec tristesse que vox clamantis in deserto, ils s’époumonent dans le vide ».
Alors me plaît que, dans les poèmes proposés à mes amis de Contre-Allées par Olivier Barbarant, l’élégie étranglée[4] qu’il consacre aux derniers instants, aux dernières paroles de l’ancien Président du Chili, Salvador Allende, ose parler de ses larmes à se remémorer « les grandes lignes de soleil » qu’auront été, au moment même où s’avançaient ses bourreaux, les mots par lui adressés aux forces de l’avenir. Et me plaît que l’inquiétude dont fait état le poème, l’inquiétude de son auteur de provoquer le sarcasme des bons esprits, ne l’ait pas entraîné comme eux, par peur panique d’être dupe, à s’abstenir de célébrer l’extraordinaire dignité, l’exceptionnelle élévation d’âme, qu’il trouve à l’absence d’affectation, la simple humaine bonté de celui qu’il n’est pas loin de considérer comme un martyr, le martyr de la Moneda.
Il est bon que des poètes et des gens de culture, de l’envergure d’Olivier Barbarant, rappellent que frémir n’est jamais ridicule et tracent pour les autres ces chemins d’expression. Sans rien dissimuler de leurs risques. Au moment surtout où nous avons besoin d’émotions vraies. Non pas brutes. Subies. Injectées. Et manipulatrices. Mais lentement amalgamées en voix, méditées[5], comme c’est le travail du poète, d’émotions capables de ressaisir un peu de la vérité profonde de notre existence. De la cordialité en somme que ne devrait jamais avoir perdu la vie.
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[2] Oui, selon lui, car il ne manque pas dans la poésie actuelle d’auteurs que l’émotion est loin de rebuter. Ce que vise, je crois ici Olivier Barbarant est une certaine frange de l’intelligentsia artiste, en grande partie universitaire, qui vis-à-vis de l’émotion adopte l’attitude pincée de qui ne veut surtout pas être confondu avec les intelligences naïves ou populaires.
[3] Paul Audi, Créer, Verdier, page 33
[4] Reprise du titre de l’un des recueils d’Olivier Barbarant paru chez Champ Vallon en 2016
[5] L’expression d’ « émotion méditée » est tirée de Bataille dans l’Expérience intérieure.