Georges Guillain évoque le n° 43 de la revue Contre-allées sur le site des Découvreurs.
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Plaisir aujourd’hui de parcourir le dernier numéro de la revue Contre-Allées qui derrière le caractère disons minimaliste de sa forme : un ensemble d’une douzaine de feuilles A4, plié puis agrafé, qui n’a rien au premier regard d’un bel objet de collection, livre depuis des ans et des ans des textes que bien des publications sur papier glacé, au graphisme avantageux, pourraient lui envier. C’est que les personnes qui la dirigent, Romain Fustier en particulier et Amandine Marembert, sans compter sans doute les membres de leur rédaction Emmanuel Flory, Armelle Leclercq et Aurélien Perret, que je n’ai malheureusement pas la chance d’avoir pu rencontrer, s’y connaissent en matière de poésie. De poésie durable, veux-je dire, c’est-à-dire de poésie qui parle à la plupart des lecteurs que nous sommes. Étant d’abord humainement, charnellement, mais aussi culturellement et en langue, habitée. Il est bon que de telles publications qui assurent le partage attentif et régulier d’une poésie à hauteur d’homme (pardonnez-moi de continuer à considérer ce dernier terme dans son acception neutre d’espèce, indépendante de toute signification genrée) existe et continue d’exister entretenant ainsi cette « effervescence incessante » dont parle Romain Fustier dans un avant-propos dont je partage pour l’essentiel tant la généreuse vision que l’élan combatif.
L’intérêt d’une revue étant un peu pour moi comme en matière de cuisine de me permettre de goûter du bout de la cuillère mais de façon gourmande à des écritures nouvelles comme aussi de me régaler des saveurs inédites proposées par des auteurs mieux connus, je trouve heureux que la dernière livraison de Contre-Allées nous mette pour commencer en appétit avec des textes d’Étienne Faure qu’elle a la bonne idée d’accompagner d’un court entretien insistant bien, sur la part laissée, chez ce solide et minutieux artisan de la frappe du mot et de la phrase virtuose, à l’émotion saisissante, à la fois secrète, puissante et pluriforme. Il n’est pas indifférent d’ailleurs pour moi que dans ce numéro les tonalités comme acidulées des poèmes d’Étienne Faure qui a récemment donné chez Gallimard un livre au titre évocateur Et puis prendre l’air, se voient prolongées par celles du poète marseillais Daniel Birnbaum, d’une texture plus froide et retenue et d’un goût plus amer. De ce numéro je retiens aussi le feuilleté des variations familiales de Benoît Reiss poète dont j’ai aussi envie de découvrir d’autres choses. Tiens. Que des hommes ici, cette fois au sens très sexué du terme. Mes amis de Contre-Allées se moqueraient-ils ouvertement de la parité ? Je me rassure en redécouvrant une belle suite due à Christiane Veschambre. Et l’éloge sincère fait par Amandine Marembert de cette belle poète qu’est Marie Huot à l’occasion de la sortie de son dernier livre, Le nom de ce qui ne dort pas, aux éditions Al Manar.
Allons ! vous goûterez bien à l’un de ces poèmes, quand même, avant de repartir ; dégustons donc ce petit Étienne Faure qui dans ses mouvements, fait pour finir battre ensemble puis retomber, toutes les saveurs des lieux, des choses et les couleurs en noir et blanc, du temps :
Non ce n'est pas la neige, ces plumes encore en vie qui volent
mais de la chaleur évanouie d'un drap,
de l'édredon battu à la fenêtre
— ébouriffant est ce remue-ménage qui secoue
terre et nues dans les appartements l'hiver,
suprématie des voix traversant la rue
pour atteindre la croisée d'en face, bonjour,
l'air est vivace, ce matin il y a
des puéricultrices, des laborantins, des attachés,
des guerriers parcourant la ville au pas d'oie,
dans chaque immeuble un roman qui s'achève,
la vérité avec un grand V dans le ciel qui passe,
criant au-dessus des toits on s'en va, on ne fait
que passer, puis pleure en un miserere à voix seules
ou groupées en chœurs de corbeaux solitaires
qui ne chantent plus, séculaires, croassent
des souvenirs à faire froid, plumes noires,
leurs chutes.
rémiges