Automne-hiver 2012 (2/2)

CE QUI VIENT
MICHEL BOURÇON
Gros textes
(Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes)
78 pages – 8 €

La poésie de Michel Bourçon porte en elle tout sauf des certitudes, un discours sur l’existence. La vie s’y déploie dans sa fragilité même ; elle est « comme une herbe flottante ». Les choses pèsent de leur poids, jusqu’au « ciel prostré / dans les flaques », et par une sorte de renversement, ce sont elles « qui nous contemplent », nous objectivent, oserait-on dire. Les vers sont brefs, secs, saccadés ; les mots s’avancent sur la pointe des pieds, hésitent, s’étranglent. L’écriture soulève plus de questions qu’elle n’amène de réponses : « peut-on être soi / avec les autres ». Constat désabusé : « tout finit / sans faire d’histoire // une vie / une journée ». Ereintement : «  au soir / parfois / on ne sait plus / qui est porté / par ce corps fatigué ». Et quelques pépites, qui flirtent avec l’abstraction sans y céder, tel ce «  temps garé / en double file ».


TRAC
SOPHIE BRAGANTI
Gros textes
(Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes)
80 pages – 7 €

« Rien n’est parfait / moi encore moins », avoue Sophie Braganti au détour de ce livre. Peur, angoisse avant d’affronter le lecteur ? Trac, comme semble l’indiquer le titre ? La lecture de ces poèmes en prose libérés de toute ponctuation nous délivre de toute appréhension. Les mots filent en cascade, à toute allure, et nous prenons plaisir à suivre l’auteure dans ses glissades où elle retombe toujours sur ses pieds. De «  mon triangle des bermudas à moi » aux « seins de glace », du « macadam aux camélias » à ce « je fais paf dans un acronyme en visant le pif des poufs audiovisuelles », le ton est malicieux, mutin. Mais la plaisanterie sait aussi devenir critique : « Le travail d’abord on naissait avec la peur de ne pas le trouver et lorsqu’on l’avait trouvé on grandissait avec la peur de le perdre ». Une écriture incisive, rafraîchissante.


NOUS NOUS ATTENDONS
ARIANE DREYFUS
Le Castor astral
(52 rue des Grilles – 93500 Pantin)
158 pages – 14 €

Sous-titré Reconnaissance à Gérard Schlosser, ce livre n’est pas un livre sur la peinture, sur ce peintre qu’on a rattaché au courant de la figuration narrative, mais un livre en écho. En quatrième de couverture, l’auteure s’explique : «  j’avais le regard du peintre, son art, pour m’inspirer confiance, amour ». Ce dernier mot nous éclaire, comme il éclaire toute l’écriture de la poète qui ajoute, évoquant Schlosser : « Cette œuvre agit sur moi comme un révélateur. Grâce à elle, je ne doute plus de la vie en général et de la mienne en particulier ». Il en résulte des textes vertigineusement justes, où la vie même semble palpiter : «  La fenêtre est bien ouverte maintenant le soir / La couverture sent les fleurs de la journée ». Ou encore : « elle tient ses cheveux se place / Sous la lampe qu’il avance / Comme s’il faisait beau un doux soleil ». Magnifique.


MOISSON
CHARLES JULIET
P.O.L.
(33 rue Saint-André-des-Arts – 75006 Paris)
240 pages – 9 €

Un fort épais volume qui a valeur, dans notre petit monde de la poésie, d’événement. Il s’agit d’un choix de poèmes de l’auteur qui tente de cerner l’œuvre, de donner un nouvel éclairage à plusieurs décennies – concernant Charles Juliet, je dirais une vie – d’écriture. Dans sa préface, Jean-Pierre Siméon évoque une « extrême précaution à la parole », une « esthétique du dépouillement, de la précision, de la rigueur, de la clarification ». La lecture des textes conforte cette idée. Le poète nous ramène avec lui dans l’enfance, fondatrice : « ses émotions le débordent     le mettent en charpie / il se défie des adultes et se mure dans le silence / l’ennui   l’ennui des heures interminables ». Les titres des sections du recueil parlent d’eux-mêmes : « Effondrement », « Bribes », « Avancée » ou encore « Apaisement ». Nous sommes bien devant un trajet de vie.


ADOLESCENCE FLORENTINE
CÉDRIC LE PENVEN
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170 Saint-Benoît-du-Sault)
112 pages – 13 €

Voici un recueil bicéphale, composé d’une première partie en prose et d’une seconde en vers, nées d’un même choc déjà ancien. L’auteur revient sur ses pas, à Florence, au couvent San Marco, qu’il découvre lycéen. Or ce « païen de dix-huit ans », comme il se décrit lui-même, va soudain se trouver arrêté, happé par ce qu’il voit. Le poème va tenter de nous dire cet ébranlement intime, d’interroger le mystère s’y attachant : « Pourquoi suis-je fasciné par ces quelques fresques aux couleurs pâles et surannées, moi qui voue un culte païen au parfum de ma femme, aux bains dans les rouleaux de l’océan, au vin qui réchauffe l’âme et délie la langue ? ». La deuxième partie du livre part des sculptures d’esclaves de Michel-Ange qu’elle re-sculpte avec les vers. J’aime la grande sincérité – même si d’aucuns souriraient de l’emploi d’un tel mot – de cette poésie.


EXSANGUE
LOU RAOUL
Pré # carré
(52 quai Perrière – 38000 Grenoble)
24 pages – 6,25 €

Un livret tout à fait étonnant que voilà, fondé sur le principe de la reprise, un peu à la manière d’un pantoum, mais à l’échelle d’un recueil. Le poème s’écrit au futur et au futur antérieur, créant quelque chose d’étrange, à mi-chemin de la réalité brute et du fantastique, voire de la légende : «  ce sera aussi clair qu’une nuit de pleine lune qu’une femme attendra encore avec son corps entier ». Une silhouette se dessine, dont nous ne savons pas grand-chose, si ce n’est que « les gravats elle les mettra aussi en bouquets ». Nous attendons sans trop savoir ce que nous attendons. Le présent s’échappe. L’écriture avance des contraires : « même si toute la maison vide à remplir ». Elle avance sans avancer : « ce sera aussi clair que le jour le jour ». Reste cette certitude : « les mots ne seront pas noyés dans l’eau saumâtre du vieux puits ». Inclassable.


VROUZ
VALÉRIE ROUZEAU
La Table ronde
(33 rue Saint-André-des-Arts – 75006 Paris)
176 pages – 16 €

Autant le dire tout de suite, ce livre est excellent, peut-être le meilleur de Valérie Rouzeau, tant tout ce qui faisait depuis longtemps la force de son écriture paraît s’être donné rendez-vous dans ces pages. L’auteure a choisi un cadre : chaque poème comporte quatorze vers, en souvenir du sonnet. Mais à l’intérieur de ce canevas, on goûte à la liberté la plus totale. Et ce paradoxe apparent donne à cette lecture quelque chose, oui, de jouissif. Nous y découvrons le continu d’une existence ordinaire, saisie dans sa quotidienneté qu’émaillent, à chaque coin de vers, des surprises, trouvailles et réflexions. « Petits-beurre fabriqués avec blé cultivé / Pour être encore meilleurs c’est dit sur l’emballage / En biodiversité comprenant les bordures / Fleuries pour les abeilles et puis les papillons / Tout est parfait comment penser qu’on va mourir ».


AFFAIRES D’ÉCRITURE
JAMES SACRÉ
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170 Saint-Benoît-du-Sault)
236 pages – 11 €

On attend toujours le dernier James Sacré comme le premier matin des vacances, avec la certitude de retrouver un peu de ce qu’on sait aimer, qui n’est jamais tout à fait pareil, jamais tout à fait différent. Cet épais volume regroupe trois ensembles de poèmes déjà publiés et constitue une excellente porte d’entrée dans l’œuvre. Les redécouvrant, je suis frappé par la variété des formes utilisées par le poète, par l’audace de celui-ci, mais aussi par la permanence – sans que cela entre en conflit avec ladite variété des formes – d’une sorte de fil conducteur rythmique, de cadence, puisqu’il faut bien avancer un terme – qui tend vers une unité. Enfin,  il y a surtout de petits miracles d’écriture : «  Il faudra ouvrir les orges pour leur grain. Il faudra défaire les femmes de leurs glumes blondes et bombées, des glumelles, des transparences ».


LES VACANCES
ÉRIC SAUTOU
Flammarion
(http://editions.flammarion.com/)
200 pages – 16 €

Difficile d’expliquer comment l’écriture d’Éric Sautou s’y prend pour nous emporter, mais son charme opère. Ce nouveau livre se compose de textes qui sont comme des « vignettes lointaines, estompées par le temps ». Le lisant, nous sommes submergés par une sorte de douceur triste, par quelque chose d’émouvant. On nous parle des vacances ; des souvenirs remontent à la surface. Nous pensons à la vacance, ce sentiment de vide habité qui nous saisissait enfant l’été, avec la fin de l’école. Des paysages intérieurs se déploient au fil des poèmes, des sensations anciennes se raniment : « le vent s’étiole au vent du soir les papillons / multipliés (le paysage d’air) / c’est le temps de mon rêve (la lumière d’été) / le jardin du dehors les papillons dorés ». Rien ne peut revivre : « nous n’avons que des mots ». Mais c’est mieux que rien.


RESSAC
GÉRARD TITUS-CARMEL
Obsidiane
(http://perso.numericable.com/editions-obsidiane/)
96 pages – 14 €

Un livre bâti sur le principe de la variation, à partir d’un thème – la mer – dont nous assistons au changement d’états, chaque poème marquant à sa manière, avec sa musique, un écart, un passage, comme on passe d’une page à la suivante. L’écriture figure l’irruption des étendues d’eau sur le papier, en les délimitant : « avancée des longues phrases ourlées à jamais / comme nées lointaines elles aussi roulant en sombre ». Poèmes en vers et en prose alternent ainsi que basse et haute mer. La vie baigne entière dans les éléments : « le temps se serre comme un poing / et déferle tassé avec la vague / celle qui s’annonce ». L’humain est réduit à sa petitesse, les flots renversant tout, faisant basculer le monde en même temps que les phrases : « Que reste-t-il des corps / quand l’immensité chavire ». Une poésie tonique, inventive.


Romain Fustier