CE QUI VIENT
MICHEL BOURÇON
Gros textes
(Fontfourane – 05380
Châteauroux-les-Alpes)
78 pages – 8 €
La
poésie de Michel Bourçon porte en elle tout sauf des certitudes, un discours
sur l’existence. La vie s’y déploie dans sa fragilité même ; elle est
« comme une herbe flottante ». Les choses pèsent de leur poids,
jusqu’au « ciel prostré / dans les flaques », et par une sorte de
renversement, ce sont elles « qui nous contemplent », nous objectivent,
oserait-on dire. Les vers sont brefs, secs, saccadés ; les mots s’avancent
sur la pointe des pieds, hésitent, s’étranglent. L’écriture soulève plus de
questions qu’elle n’amène de réponses : « peut-on être soi / avec les
autres ». Constat désabusé : « tout finit / sans faire
d’histoire // une vie / une journée ». Ereintement : « au soir
/ parfois / on ne sait plus / qui est porté / par ce corps fatigué ». Et
quelques pépites, qui flirtent avec l’abstraction sans y céder, tel ce «
temps garé / en double file ».
TRAC
SOPHIE BRAGANTI
Gros textes
(Fontfourane – 05380
Châteauroux-les-Alpes)
80 pages – 7 €
« Rien
n’est parfait / moi encore moins », avoue Sophie Braganti au détour de ce
livre. Peur, angoisse avant d’affronter le lecteur ? Trac, comme semble
l’indiquer le titre ? La lecture de ces poèmes en prose libérés de toute
ponctuation nous délivre de toute appréhension. Les mots filent en cascade, à
toute allure, et nous prenons plaisir à suivre l’auteure dans ses glissades où
elle retombe toujours sur ses pieds. De « mon triangle des bermudas à
moi » aux « seins de glace », du « macadam aux
camélias » à ce « je fais paf dans un acronyme en visant le pif des
poufs audiovisuelles », le ton est malicieux, mutin. Mais la plaisanterie
sait aussi devenir critique : « Le travail d’abord on naissait avec
la peur de ne pas le trouver et lorsqu’on l’avait trouvé on grandissait avec la
peur de le perdre ». Une écriture incisive, rafraîchissante.
NOUS NOUS ATTENDONS
ARIANE DREYFUS
Le Castor astral
(52 rue des Grilles – 93500
Pantin)
158 pages – 14 €
Sous-titré
Reconnaissance à Gérard Schlosser, ce livre n’est pas un livre sur
la peinture, sur ce peintre qu’on a rattaché au courant de la figuration
narrative, mais un livre en écho. En quatrième de couverture, l’auteure
s’explique : « j’avais le regard du peintre, son art, pour
m’inspirer confiance, amour ». Ce dernier mot nous éclaire, comme il
éclaire toute l’écriture de la poète qui ajoute, évoquant Schlosser :
« Cette œuvre agit sur moi comme un révélateur. Grâce à elle, je ne doute
plus de la vie en général et de la mienne en particulier ». Il en résulte
des textes vertigineusement justes, où la vie même semble palpiter :
« La fenêtre est bien ouverte maintenant le soir / La couverture sent les
fleurs de la journée ». Ou encore : « elle tient ses cheveux se
place / Sous la lampe qu’il avance / Comme s’il faisait beau un doux
soleil ». Magnifique.
MOISSON
CHARLES JULIET
P.O.L.
(33 rue Saint-André-des-Arts
– 75006 Paris)
240 pages – 9 €
Un
fort épais volume qui a valeur, dans notre petit monde de la poésie,
d’événement. Il s’agit d’un choix de poèmes de l’auteur qui tente de cerner
l’œuvre, de donner un nouvel éclairage à plusieurs décennies – concernant
Charles Juliet, je dirais une vie – d’écriture. Dans sa préface, Jean-Pierre
Siméon évoque une « extrême précaution à la parole », une
« esthétique du dépouillement, de la précision, de la rigueur, de la
clarification ». La lecture des textes conforte cette idée. Le poète nous
ramène avec lui dans l’enfance, fondatrice : « ses émotions le
débordent le mettent en charpie / il
se défie des adultes et se mure dans le silence / l’ennui l’ennui des heures interminables ».
Les titres des sections du recueil parlent d’eux-mêmes : « Effondrement »,
« Bribes », « Avancée » ou encore « Apaisement ».
Nous sommes bien devant un trajet de vie.
ADOLESCENCE FLORENTINE
CÉDRIC LE PENVEN
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170
Saint-Benoît-du-Sault)
112 pages – 13 €
Voici
un recueil bicéphale, composé d’une première partie en prose et d’une seconde
en vers, nées d’un même choc déjà ancien. L’auteur revient sur ses pas, à
Florence, au couvent San Marco, qu’il découvre lycéen. Or ce « païen de
dix-huit ans », comme il se décrit lui-même, va soudain se trouver arrêté,
happé par ce qu’il voit. Le poème va tenter de nous dire cet ébranlement
intime, d’interroger le mystère s’y attachant : « Pourquoi suis-je
fasciné par ces quelques fresques aux couleurs pâles et surannées, moi qui voue
un culte païen au parfum de ma femme, aux bains dans les rouleaux de l’océan,
au vin qui réchauffe l’âme et délie la langue ? ». La deuxième partie
du livre part des sculptures d’esclaves de Michel-Ange qu’elle re-sculpte avec
les vers. J’aime la grande sincérité – même si d’aucuns souriraient de l’emploi
d’un tel mot – de cette poésie.
EXSANGUE
LOU RAOUL
Pré # carré
(52 quai Perrière – 38000
Grenoble)
24 pages – 6,25 €
Un
livret tout à fait étonnant que voilà, fondé sur le principe de la reprise, un
peu à la manière d’un pantoum, mais à l’échelle d’un recueil. Le poème s’écrit
au futur et au futur antérieur, créant quelque chose d’étrange, à mi-chemin de
la réalité brute et du fantastique, voire de la légende : « ce sera
aussi clair qu’une nuit de pleine lune qu’une femme attendra encore avec son
corps entier ». Une silhouette se dessine, dont nous ne savons pas
grand-chose, si ce n’est que « les gravats elle les mettra aussi en
bouquets ». Nous attendons sans trop savoir ce que nous attendons. Le
présent s’échappe. L’écriture avance des contraires : « même si toute
la maison vide à remplir ». Elle avance sans avancer : « ce sera
aussi clair que le jour le jour ». Reste cette certitude : « les
mots ne seront pas noyés dans l’eau saumâtre du vieux puits ».
Inclassable.
VROUZ
VALÉRIE ROUZEAU
La Table ronde
(33 rue Saint-André-des-Arts
– 75006 Paris)
176 pages – 16 €
Autant
le dire tout de suite, ce livre est excellent, peut-être le meilleur de Valérie
Rouzeau, tant tout ce qui faisait depuis longtemps la force de son écriture
paraît s’être donné rendez-vous dans ces pages. L’auteure a choisi un
cadre : chaque poème comporte quatorze vers, en souvenir du sonnet. Mais à
l’intérieur de ce canevas, on goûte à la liberté la plus totale. Et ce paradoxe
apparent donne à cette lecture quelque chose, oui, de jouissif. Nous y
découvrons le continu d’une existence ordinaire, saisie dans sa quotidienneté
qu’émaillent, à chaque coin de vers, des surprises, trouvailles et réflexions.
« Petits-beurre fabriqués avec blé cultivé / Pour être encore meilleurs
c’est dit sur l’emballage / En biodiversité comprenant les bordures / Fleuries
pour les abeilles et puis les papillons / Tout est parfait comment penser qu’on
va mourir ».
AFFAIRES D’ÉCRITURE
JAMES SACRÉ
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170
Saint-Benoît-du-Sault)
236 pages – 11 €
On
attend toujours le dernier James Sacré comme le premier matin des vacances,
avec la certitude de retrouver un peu de ce qu’on sait aimer, qui n’est jamais
tout à fait pareil, jamais tout à fait différent. Cet épais volume regroupe
trois ensembles de poèmes déjà publiés et constitue une excellente porte
d’entrée dans l’œuvre. Les redécouvrant, je suis frappé par la variété des
formes utilisées par le poète, par l’audace de celui-ci, mais aussi par la
permanence – sans que cela entre en conflit avec ladite variété des formes –
d’une sorte de fil conducteur rythmique, de cadence, puisqu’il faut bien
avancer un terme – qui tend vers une unité. Enfin, il y a surtout de petits miracles d’écriture : « Il
faudra ouvrir les orges pour leur grain. Il faudra défaire les femmes de leurs
glumes blondes et bombées, des glumelles, des transparences ».
LES VACANCES
ÉRIC SAUTOU
Flammarion
(http://editions.flammarion.com/)
200 pages – 16 €
Difficile
d’expliquer comment l’écriture d’Éric Sautou s’y prend pour nous emporter, mais
son charme opère. Ce nouveau livre se compose de textes qui sont comme des
« vignettes lointaines, estompées par le temps ». Le lisant, nous
sommes submergés par une sorte de douceur triste, par quelque chose d’émouvant.
On nous parle des vacances ; des souvenirs remontent à la surface. Nous
pensons à la vacance, ce sentiment de vide habité qui nous saisissait
enfant l’été, avec la fin de l’école. Des paysages intérieurs se déploient au
fil des poèmes, des sensations anciennes se raniment : « le vent
s’étiole au vent du soir les papillons / multipliés (le paysage d’air) / c’est
le temps de mon rêve (la lumière d’été) / le jardin du dehors les papillons
dorés ». Rien ne peut revivre : « nous n’avons que des
mots ». Mais c’est mieux que rien.
RESSAC
GÉRARD TITUS-CARMEL
Obsidiane
(http://perso.numericable.com/editions-obsidiane/)
96 pages – 14 €
Un livre bâti sur le principe de la variation, à partir d’un thème – la
mer – dont nous assistons au changement d’états, chaque poème marquant à sa
manière, avec sa musique, un écart, un passage, comme on passe d’une page à la
suivante. L’écriture figure l’irruption des étendues d’eau sur le
papier, en les délimitant : « avancée des longues phrases ourlées à
jamais / comme nées lointaines elles aussi roulant en sombre ». Poèmes en
vers et en prose alternent ainsi que basse et haute mer. La vie baigne entière
dans les éléments : « le temps se serre comme un poing / et déferle
tassé avec la vague / celle qui s’annonce ». L’humain est réduit à sa petitesse,
les flots renversant tout, faisant basculer le monde en même temps que les
phrases : « Que reste-t-il des corps / quand l’immensité
chavire ». Une poésie tonique, inventive.
Romain Fustier