TASHUUR. UN ANNEAU DE POUSSIÈRE
PASCAL COMMÈRE
Obsidiane
(http://perso.numericable.com/editions-obsidiane/)
112 pages – 14 €
Tashuur désigne le petit fouet dont
les cavaliers mongols, lanière passée autour du poignet, ne se séparent jamais.
De son séjour en Mongolie, Pascal
Commère ramène un livre qui caracole dans la steppe, fait alterner vers et
prose, car ici l’écriture devient nomade et tourne dans l’air comme un
tashuur ; le voyage décentre et met à nu les mots pour les réduire en
tourbillon de poussière qui colle au visage, au cœur et ne retombe pas. On
laisse derrière soi son barda de terre lourde et humide pour accueillir le peu,
le vent, le sec. À la fois hôte et autre, semblable et différent,
frère silencieux sous l’étoile des bergers sans terre. Les ombres des chevaux,
le lait fermenté de la lune pleine et de la neige, l’herbe pliée écrivent le
monde. « Mongolie ! Tes matins de cendre la laine accrochée aux
flancs des poulains floconne, le bai embrunit les lointains ». Épique, chamanique.
DES LAINES QUI ÉCLAIRENT
PASCAL COMMÈRE
Obsidiane & Le Temps
qu’il fait
(http://perso.numericable.com/editions-obsidiane/)
400 pages – 28 €
Une
volumineuse anthologie de poèmes qui courent de 1978 à 2009. Il ne s’agit pas
là d’un tombeau, mais bien plutôt d’un chemin qui est photographié dans le
continu de son tracé, toujours incertain de sa destination. Les initiés y
trouveront avec bonheur la reprise de livres à tirage limité et ceux qui
partiront à la découverte pourront
avoir accès à un large panorama de cette poésie construite au fil des livres
publiés. Le texte introductif, rédigé par l’auteur lui-même, est absolument
éclairant quant à son parcours d’écrivain, de lecteur et de revuiste, au
matériau-terre de ses mots, à la part animale de sa langue, au rythme où
celle-ci s’écrit, à l’alternance prose-poèmes, à la blessure initiale reçue
dans l’enfance et jamais refermée. « Doux au toucher, et malgré tout
rugueux. C’est cela. Laines. Et pas moins au pluriel ».
MÉMOIRE, CE QUI DEMEURE
PASCAL COMMÈRE
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170
Saint-Benoît-du-Sault)
192 pages – 11 €
Les
éditions Tarabuste ont eu la bonne idée d’ouvrir une collection de reprises de
textes anciens et parfois revisités d’un auteur. Le livre propose ainsi Fenêtres la nuit vient, ensemble publié
une première fois en 1987 par les éditions Folle Avoine (« Les femmes la
nuit / respirent dans leurs cuisses »). Et deux ensembles inédits,
« provenant l’un et l’autre d’une même époque de composition et
semblablement restés en attente dans des dossiers oubliés jusqu’alors ». D’une voix tue, brisures (1979-1987) (« La
nuit entre leurs cuisses – linge écrit ») et Terre – alors, et alentours (1979-1982). Lettre à la mère, qui ouvre le livre, vient du poème qui clôt le
recueil Ici publié par Jean Le Mauve
en 1979 : « Tout ça, // d’une encre qui retient la cendre / d’une
blessure. – Ou si c’est colère, // cette part de nous que / n’éteint pas la
neige ».
POINTE DES PIEDS SUR LE BALCON
ALBANE GELLÉ
La Porte
(215 rue Moïse Bodhuin –
02000 Laon)
20 pages – 3 €
On
retrouve dans ce livre les petits blocs presque rectangles de mots enchaînés en
respiration saccadée et souffle continu dans le flot de la vie, des jours, des
rencontres, des paysages. L’affaire est de se tenir debout envers et malgré
tout ce qui empêche et obstrue, ce qui vente trop fort, ce qui fatigue. Déjà
les poèmes sont abris de fortune, mais constructions assez solides pour
empêcher de ployer trop, de tomber. Affleure doucement et avec « gravité
tenace » aussi « la question de l’équilibre ». Difficile
exercice qu’arpenter la terre en funambule, sur la pointe des pieds, toujours,
peur de casser les œufs. « Debout première fois marchant tenir un enfant
par l’enfance en mouvement de trapéziste laisser sa main lâcher ma main ».
Si le monde « porté bout de l’index » tombe, il faut « le geste
calme précis de tout remettre droit et debout ».
IRIS
DANIELLE FOURNIER & LUCE
GUILBAUD
L’Hexagone
(Librairie du Québec – 30
rue Gay-Lussac – 75005 Paris)
114 pages – 17 €
Deux
femmes vivent, écrivent, s’écrivent de chaque côté de la ligne de l’Atlantique.
Un livre à quatre mains, chacune une moitié, la ligne médiane du cahier comme
ligne de partage des eaux bleues de l’iris des yeux et des fleurs. « Nous
ne vivons pas à la même heure ; quand l’une se lève, l’autre mange »
(D.F.) ; « Un océan entre nos mots / toi et moi nous nous tenons par
le livre » (L.G). L’une écrit en bas de la page des rectangles de poèmes
resserrés, l’autre écrit en haut de la page des poèmes à la forme échancrée. Au
milieu, le blanc de la neige qui fait se rejoindre leurs mots dans le silence
de la lecture. « Les mots plantés de chaque côté de l’Atlantique /
partagent les cailloux blancs des saisons différées » ; « ma nuit va vers ton jour » (L.G.).
Ce livre d’échange féminin rassemble les langues et se lit « à la brune » ou « à la brunante ».
AU PRÉSENT D’INFINI
LUCE GUILBAUD
Ficelle / Vincent Rougier
(Les Forettes – 61380
Soligny la Trappe)
30 pages – 9 €
Un
livre dédié au geste, à l’acte d’amour. À faire et à refaire jusqu’au bout de
la vie. « Ils disent petite mort
/ si douce l’autre qui viendrait dans tes bras ». Hier aujourd’hui demain.
Mais l’amour ne se conjugue ni à l’imparfait ni au futur. Il est « un acte
au présent d’infini ». L’amour est travail de couture : le fil qui
relie et qu’on recoud s’il y a déchirure ; l’aiguille aussi, qui pique
jusqu’au sang. « L’amour encore / il se fait se défait / (nous le ferons le referons / tenir bon pour
ne pas / le défaire) ». L’amour se réinvente chaque jour.
« L’amour se recommence / avec absences ». Le temps passe si vite –
années, jours, heures – mais « c’est le moment / c’est
maintenant » que l’amour se circonscrit. Ces poèmes respirent ample, sensuels
jusque dans leur forme. « Amour cassant brisé de mots de trop », mais
« c’est vivant / la décision d’aimer encore ».
NUIT L’HABITABLE
LUCE GUILBAUD
Les Arêtes
(5 rue de Suffren – 17000 La
Rochelle)
82 pages – 20 €
Un
très beau livre aux feuillets pliés comme les draps de l’amour qui s’y
glissent. Une note de l’éditrice, au seuil du texte, éclaire au plus juste la
démarche d’écriture de l’auteure. Peintre et poète, celle-ci a écrit ses poèmes
en regardant les seize miniatures qui accompagnent un récit d’amour courtois et
malheureux, « Le livre du Cœur d’amour épris » du Roi René d’Anjou.
Les voix, anciennes et nouvelles, s’entremêlent mais celle qui parle ici est
l’amante. L’objet de la quête – longue, difficile -n’est pas l’homme ou la
femme mais l’amour – puissant et fragile – qui ne se possède pas. « La
quête a cette vertu qu’elle donne des réponses que l’on ignorait
chercher » (Sandrine Pot). « Le cœur cherche son rythme / ne sait pas
qu’il est rouge qu’il est sang ». « L’amour dans sa voix de
chaleur ». « Même quand tu ne parles pas je t’entends » (L.G.)
LE CRI DES MÈRES
CÉCILE GUIVARCH
La Porte
(215 rue Moïse Bodhuin –
02000 Laon)
28 pages – 3 €
Cette
poète sait admirablement aborder la question de la transmission entre les
générations de femmes d’une même famille. Dans ce livre, elle aborde la
généalogie à travers le prisme de la maternité, de la naissance. Le trait
d’union se fait par un même prénom donné au fil des siècles. « Zélie
l’ancêtre l’arrière-arrière-grand-mère de l’arrière-grand-mère / Zélie qui
descend d’une autre Zélie à deux ou trois siècles l’une de l’autre / si se
ressemblent se rejoignent s’appellent ». Les premières continuent à vivre
dans les descendantes. Les conditions de vie sont si éloignées et pourtant les
gestes des mères restent les mêmes. « Naître en juillet tous de Zélie / du
même sang ancien déjà dissous dans la terre / sang de l’un à l’autre de juillet
en juillet ». Cette poésie puise ses forces vivifiantes dans
l’oralité : « criez l’enfant
vient avec le cri des mères ».
À l’OMBRE DU BONSAÏ
WERNER LAMBERSY
L’Âne qui butine
(http://www.anequibutine.com/)
148 pages – 22 €
Ce
livre de très belle facture – couverture épaisse moirée vert amande et
frottages couleurs d’Anne Letoré (vitre, carrelage, nappe, ceinture, soie) –
regroupe deux textes inédits et l’un paru en coréen au catalogue de l’artiste
peintre et éditeur Park Jung Sook. À l’ombre du
bonsaï, ensemble qui revisite le
haïku en deux vers : le premier très bref, le second très long.
« Chaque / Mois qui donc remplace l’assiette cassée de la lune ». Dernière levée (Rome, 2011), texte en
prose qui constitue le cahier central du livre, scandé par une formule en leitmotiv,
« Nous avons vécu ». Notes en
plein vent (Séoul, 2006) clôt le recueil. Chaque titre de poème est déjà
une invitation au voyage. « Au bord / De l’eau le saule / Feuillette le
sillage des cygnes ». « Ils
lisaient / Et la neige faisait / À peine plus de bruit que les pages
tournées ».
LES VISAGES S’EFFACENT
PHILIPPE PAÏNI
Potentille
(8 allée Marcel Paul – 58640
Varennes-Vauzelles)
38 pages – 7,70 €
Les
poèmes déambulent dans des villes étrangères. Prague, décembre 2004-janvier 2005. « Pour faire une ville il
faut /chaque jour retrousser ses jupes ». « Dans les couloirs de
l’hôtel evropa / on ne croise que des femmes qui viennent / de faire
l’amour ». Rome, avril 2008. « Le
vent / ouvre / d’autres visages dans les nôtres ». Kedzierzyn, Auschwitz, Cracovie, novembre 2009. « Dans l’ébranlement du train la nuit / craque
un rire / confirme la déchirure un silence / la recoud ». Dans ce livre
les visages et les années se rassemblent pour dire ce qui a été perdu, la mort
qui sous-tend nos vies, et ce qui se retrouve sans cesse, dans chaque matin et
lumière qui recommencent. Les pas, les cris se perdent dans les rumeurs des
villes, l’histoire ne se répète pas, n’est pas finie, ne fait que commencer.
Les visages s’effacent jusqu’à leurs reflets.
À DÉFAUT DE MIRACLE
GENEVIÈVE PEIGNÉ
Potentille
(8 allée Marcel Paul – 58640
Varennes-Vauzelles)
30 pages – 7,70 €
Ce
qu’on peut dire et faire « à défaut de miracle », quand on ne croit
en aucun dieu. Des poèmes alertes, entre le constat, l’adage et l’aphorisme
étiré. Et la miraculeuse et souriante distance de l’humour, parfois presque
invisible et pourtant là : l’énergie du désespoir. Un manuel d’ersatz de
miracle pour nous, « tous plus ou moins miraculés ». « Miracle /
Le point de vue du nouveau-né / reste douteux // à rechercher toute sa vie /
une parole / aussi puissante que son cri ». « À défaut de miracle /
Embrasse qui tu veux tes lèvres ne s’useront pas ». « La poésie comme
faire les vitres / tant d’efforts / pour éclaircir au mieux / la
séparation ». « On dit les choses / d’abord pour les faire
taire ». « Une fourmi traînant une fourmi morte / Enterrement
minuscule ».
ET PUIS PLUS RIEN DE RÊVES
SOFIA QUEIROS
Isabelle Sauvage
(Coat Malguen – 29410
Plounéour-Ménez)
28 pages – 8 €
S’écrit
ici une poésie narrative, disant le fil d’une vie découpée en moments qui
donnent un titre à chaque texte : intérieur nuit, intérieur jour,
extérieur jour, extérieur nuit. Une femme attend un amoureux, réel ou fictif,
dans un lieu. Le fondu enchaîné des jours et des nuits est réorganisé en arrêts
sur images qui procèdent par petites touches de détails pour évoquer ce qui
passe autour – les gens et les paysages – et en-dedans – peurs et désirs – de
celle qui, discrètement, se tient immobile à l’intérieur. Ce jeu entre le
dedans et le dehors, entre l’obscur et le lumineux, permet de mettre à jour les
contradictions du temps qui passe – à la fois trop vite et trop lentement.
« Je ne suis pas femme à virer seule et bleue ». « Le grouillis
des jours parfois m’éloigne ». « L’herbe mâchée verdit de jour en
jour ».
VARIATIONS D’HERBES
NATHALIE RIERA
Editions du Petit Pois
(8 rue Suzanne Lenglen –
34500 Béziers)
26 pages – 10 €
« Il
se fait tard trop loin et parfois lents sont les mots à venir qu’on les
voudrait guêpes ». La forme de l’écriture est fougueuse, un peu
laborantine à chercher son souffle dans des formes variées et dans des
recherches qui s’approprient la page – jeu d’italiques, de parenthèses, traits
tirés en zigzag, prose et vers, courts et longs poèmes, titres et
numérotations, ou encore alignements à droite –. Comme s’il s’agissait
d’apprivoiser les mots et de laisser apparents ces tâtonnements. « Des
voix aux fusains d’oiseaux / à cheval
dans le paysage / te font partir ». L’écriture – « langue
cheval » – hennit, verdit, piétine, halète, même quand elle n’a pas trouvé
de mots dans les terres arides du sud. « À travers champs dans la
variation des herbes. Poésie parmi les lampes et les plantes ». Une
écriture musicale, chorégraphique, orgasmique.
ROUTE
MARY-LAURE ZOSS
Le Frau
(Bélinay – 15430 Paulhac)
16 pages – 4 €
Les
poèmes en petits blocs de prose dialoguent avec des peintures de Philippe
Guitton. Comme la route trace, dans le vif du paysage, un chemin qui existe
avant, pendant et après que nous l’empruntons, ces textes sont bien campés sur
leurs pieds, énumèrent au plus précis ce qui nous traverse quand on est en
route. Le vocabulaire est taillé dans une extrême variété et concision.
« Sur dos fendu, pour quel aller ou retour à flanc de ravin tiré, le vide
tenu par ses tranchants ? » Les pensées se passent de glissières,
tressautent, longent les accidents de terrain. « On voudrait prévenir ce
qui de nous se déverse, lors que se cramponnent aux accrocs de terre arbustes
et fétuques ». « Ne se prive pas d’aller, la route, quand on n’y
marche pas ; toujours peur de la reprendre, comme s’il nous appartenait
d’en saisir les chevauchements ».
Amandine Marembert