PEAU
ANTOINE ÉMAZ
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170 Saint-Benoît-du-Sault)
135 pages – 12 €
Une autre forme de carnet intime. « Au plus près » du présent de la vie jusque dans ses repères datés. Les poèmes sont également classés à l’aide de sous-titres brefs et désenchantés, à l’image de la plupart des titres des recueils de ce poète. « Trop », « Seul », « Vert », « Lie », « Corde ». Mots répétés et mélangés à l’infini, comme une litanie obsédante. L’écriture paraît très simple dans l’art de la note mais tout tient dans le rabot et l’agencement qui ont été faits sur l’établis (« menuiser // l’angle de la langue / comme un ciseau »). Et c’est si bien réussi qu’on ne devine pas les serre-joints qui ont permis au ciment de prendre. De là sont dits avec beaucoup de justesse l’immobile avancée dans les jours, la mort qui guette, le doute, l’attente entre vide et flottement, l’absence, le rien envahissant, même s’« il y a peu à dire ». La machine humaine se trouve alors prise dans le fixe du décor. « Simplement être là / comme l’évier / sans chercher / plus loin ».
De temps à autre, des entrelacs journalistiques qui donnent des nouvelles du monde (« jeunes qui courent / un transfo edf / un arc // les nuits brûlent // trop peu de marge / plus assez d’air ») ou de soi à travers le tamis d’une analyse médicale transcrite telle quelle. Des constats froids comme autant de points de départ pour aller vers quoi ? La question reste posée : « on a fait l’état du lieu // ça nous avance / à quoi // demain pareil ». Le poème, qui ne craint pas d’exploiter le documentaire, devient un lieu de résistance. Il s’agit de tenir dans la tête et dans le corps sachant qu’« on n’est rien qu’une peau ». Vivre envers et contre. Malgré tout ce qui revient sans cesse : « seul rien // et pas plus avancé ». On trouve même un inventaire de ce que l’on pourrait faire mais « on reste là ». Force d’inertie des jours sans. Heureusement il y a des moments où l’on arrive à se défaire de son poids, des souvenirs, à « poser le corps comme un sac de patates ou un pack de vittel » pour « simplement vivre, continuer », respirer encore. Se fondre dans le paysage, le vent et la lumière. Exister jusqu’à quel point ? « On est / là / dans l’été bleu le vent / le mouvement des arbres // rien d’autre ».
Amandine Marembert
ANTOINE ÉMAZ
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170 Saint-Benoît-du-Sault)
135 pages – 12 €
Une autre forme de carnet intime. « Au plus près » du présent de la vie jusque dans ses repères datés. Les poèmes sont également classés à l’aide de sous-titres brefs et désenchantés, à l’image de la plupart des titres des recueils de ce poète. « Trop », « Seul », « Vert », « Lie », « Corde ». Mots répétés et mélangés à l’infini, comme une litanie obsédante. L’écriture paraît très simple dans l’art de la note mais tout tient dans le rabot et l’agencement qui ont été faits sur l’établis (« menuiser // l’angle de la langue / comme un ciseau »). Et c’est si bien réussi qu’on ne devine pas les serre-joints qui ont permis au ciment de prendre. De là sont dits avec beaucoup de justesse l’immobile avancée dans les jours, la mort qui guette, le doute, l’attente entre vide et flottement, l’absence, le rien envahissant, même s’« il y a peu à dire ». La machine humaine se trouve alors prise dans le fixe du décor. « Simplement être là / comme l’évier / sans chercher / plus loin ».
De temps à autre, des entrelacs journalistiques qui donnent des nouvelles du monde (« jeunes qui courent / un transfo edf / un arc // les nuits brûlent // trop peu de marge / plus assez d’air ») ou de soi à travers le tamis d’une analyse médicale transcrite telle quelle. Des constats froids comme autant de points de départ pour aller vers quoi ? La question reste posée : « on a fait l’état du lieu // ça nous avance / à quoi // demain pareil ». Le poème, qui ne craint pas d’exploiter le documentaire, devient un lieu de résistance. Il s’agit de tenir dans la tête et dans le corps sachant qu’« on n’est rien qu’une peau ». Vivre envers et contre. Malgré tout ce qui revient sans cesse : « seul rien // et pas plus avancé ». On trouve même un inventaire de ce que l’on pourrait faire mais « on reste là ». Force d’inertie des jours sans. Heureusement il y a des moments où l’on arrive à se défaire de son poids, des souvenirs, à « poser le corps comme un sac de patates ou un pack de vittel » pour « simplement vivre, continuer », respirer encore. Se fondre dans le paysage, le vent et la lumière. Exister jusqu’à quel point ? « On est / là / dans l’été bleu le vent / le mouvement des arbres // rien d’autre ».
Amandine Marembert
CIEL DE TRAÎNE
CHANTAL COULIOU
Clarisse
(170 allée de Sainte-Claire – 76880 Martigny)
16 pages – 5 €
Il s’agit là d’un journal de bord qui nous donne des nouvelles du gris du ciel à Brest ou de la ville de Brest sous le ciel gris. La nuit, la neige, les petits matins difficiles, la pluie, le vent comme autant de couvercles bas et lourds. Une ville prisonnière de la terre et de la mer, de son histoire et du présent. Quelle place alors pour le soleil, le silence, la respiration du flâneur ? Des notes, une accumulation de perceptions dans une langue limpide pour dire la vie à Brest, au fil des rues, des heures et des saisons. Chaque poème tient dans la poche et accompagne notre découverte de la ville de commentaires inconnus des guides touristiques : « À Brest, / quand ce n’est pas la pluie, / c’est le raffut des goélands / qui suspend le pas du promeneur. »
Amandine Marembert
PRÉSENTE
NOLWENN EUZEN
L’idée bleue
(85310 Chaillé-sous-les-Ormeaux)
92 pages – 12 €
Une table des matières à l’ouverture du livre : 68 poèmes numérotés et titrés, classés en quatre sections, « En famille », « À l’écart », « Pêcheur sur la rive poissons dans la rivière », « Un jour de semaine ». « Je transporte tes affaires de la voiture à la maison ; Je viens déjeuner ; Je suis là ; Je fais attention ; J’écoute ; Je bois mon café en bas ; Je devine que tu prends du poids ; Je pense que tu oublies tes chaussures chez le cordonnier ; Je range le placard ; Je t’écoute pendant la fin du repas ; Je suis bien sur la photo ; Je vote depuis 1947 ; Je ne connais pas Limoges ; Je n’en pense pas moins (...) ». Liste des choses faites au présent de l’indicatif, première personne du singulier. Où s’arrête le charme d’un inventaire qui répond présent à l’appel de la vie ?
Amandine Marembert
PEAUX D'LAPIN
MICHAËL GLUCK
Wigwam
(14 boulevard Oscar Leroux – 35200 Rennes)
16 pages – 4,60 €
Pour une maison d’enfance en sous-titre. Une maison, coincée entre la cave et le grenier, avec la cuisine au milieu, et toutes les odeurs qui remontent de l’enfance. Le lapin tué à la cave, suspendu au grenier et, dans la rue, le « marchand d’peaux d’lapin ». « Entre l’animal écorché de la cave et sa dépouille pendue au grenier, entre ces deux états du lapin, il y avait la cuisine à laquelle on montait depuis la cave par une échelle de meunier ». L’écriture du poème se retrouve alors coincée elle aussi entre le haut et le bas, la police de caractère normale et l’italique, le présent et l’imparfait de l’indicatif. Le masculin – « Grand-Père » - et le féminin – « Grand-Mère » - également. « Et l’Aïeule. J’aime ce mot disparu, ce mot qui sentait l’ail, la cuisine roborative, les tabliers noirs. ». La mémoire ? Oh les mains !
Amandine Marembert
OMBRE ANDROGYNE
ALAIN GUILLARD
Jacques Brémond
(Le Clos de la Cournilhe – 30210 Remoulins sur Gardon)
82 pages – 15 €
On tient dans les mains un livre très soigné, relié sous une toile moirée rose, douce comme un tissu. Des textes ponctués d’oiseaux (une incroyable volière de ciel), de végétation dans les parcs et les squares, de temps gris pluvieux froid, de dimanches, de poussière. « Merle et lilas vacillent entre les grilles ». « Le ciel myrtille lentement bleu ». Ce qui est alentour devient miroir des disparus : une brume bleue rappelle la « mère dans ses fumées » de Gauloises, une dernière bière du père se retrouve dans le soleil et les abeilles. Leur divorce, le frère suicidé. « Étrange quand on marche / Dans les rues de l’enfance ». À cette errance douloureuse dans le souvenir s’ajoute un va-et-vient difficile entre la masculinité et la féminité, d’Alain à Liane, « à la marge de tout ».
Amandine Marembert
BRI
ARIANE GRAVIER
Polder
(Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes)
57 pages – 6 €
Monologue intérieur, journal de bord d’une fille souffrant d’un « bri » accidentel qui la conduit à l’hôpital. « Il y a des jours où je ne suis rien d’autre qu’un bruit de pas ». La langue y est très orale, presque enfantine parfois, mais doublée d’une gravité d’adulte. « Le matin tu n’es pas morte le matin est bizarre ». Cette poésie a les mouvements d’une poupée désarticulée : elle répète assez, récupère des éléments de l’enfance passée pour la recomposer avec une parentalité hypothétique, avec une grande solitude. « Les choses qui sont à vous toute petite un jour ne sont plus à vous : / la maison des parents le jardin l’armoire. / Le petit oiseau ramassé ». Heureusement l’infirmière est là contre la pluie qui fait pleurer. « Sa voix me fait une petite couverture ».
Amandine Marembert
CÔTÉ MAT
ALINE KARNAUCH
L’idée bleue
(85310 Chaillé-sous-les-Ormeaux)
89 pages – 13,50 €
À un chamboulement intérieur correspondent des pensées en cascades enchaînées à l’intérieur de proses compactes ou légèrement plus aérées. Le style de ces poèmes est alerte et frais. Les trouvailles fourmillent, glanées ici ou là dans les (trop) nombreux textes. D’abord « Côté mat », divisé en deux parties. Une indécision à prendre son envol. « Ai pas tranché mais les coquelicots laissent gouttes rouges le long des champs ». « Au centre exact du champ / un épouvantail attend la chair / qui viendra l’habiter ». « Les mains s’arrondissent à la tasse de café noir ». Puis la section « Via l’horizon ». Le grand saut. « Un fil électrique fait la pliure du ciel ». Jeux sur les mots. « La chérie éphème grésille ». Une poésie damassée : motifs brillants à l’envers du côté mat.
Amandine Marembert
DES PAS DANS LA NEIGE (SANS LA NEIGE)
ROGER LAHU
Potentille
(2 rue du platane – 58160 La Fermeté)
29 pages – 7 €
« 1. / Des pas dans la neige... » : une réflexion sur le poème qui s’écrit à partir de « phrases / lues dans un roman d’un écrivain mongol » et de celle d’un revuiste dénonçant la commodité d’un « découpage versifié quand le contenu ne s’y prête pas forcément ». « Et la steppe ce serait la page / bien sûr bien sûr / et ça serait l’hiver / et la poème ça serait alors / des lignes de pas / dans la neige ». « 2. / ...mais il n’y a pas de neige » : instantanés de fatigue et mélancolie, de « griffures d’ombres ». « 3./ tiens il neige (mais ce n’est pas de la neige...) » : le meilleur pour la fin, ou comment se mêlent subtilement le goût d’un thé nommé « rêve de papillon », le vol d’un papillon blanc et l’odeur d’un oranger du Mexique en fleurs (blanches évidemment).
Amandine Marembert
DIMANCHES
DENISE MAUMUS-DESTIN
Potentille
(2 rue du platane – 58160 La Fermeté)
31 pages – 7 €
Les poèmes se lisent comme des vignettes qui diffusent un blues. On sentirait presque une écriture manuscrite jetée sur un carnet au fil des jours tant l’utilisation de l’italique paraît correspondre à l’humeur changeante. « Le ciel n’est là que pour le gris ». Réflexion qui vient s’ajouter à la description du paysage à la fenêtre. Beaucoup d’oiseaux, d’arbres, de pluie, de silence, même si « peut-être seul ce mouvement des doigts nerveux / révèle l’intranquillité ». L’angoisse du temps qui passe et métamorphose les choses sans modifier un sentiment tel que le désarroi. « Le temps s’amoncelle d’un coup / heures et vents / nuages / pluies / impatiences / rendez-vous / au-dessus d’un jour que l’on sait / infiniment bref / et sans poids ». Quelques passages écrits en anglais entretiennent le mystère.
Amandine Marembert
RESPIRER PAR LES YEUX
JOËL-CLAUDE MEFFRE
Wigwam
(14 boulevard Oscar Leroux – 35200 Rennes)
16 pages – 4,60 €
Une question est à l’origine de ce très singulier texte. « Qu’est-ce que la suspension du mouvement de la poitrine, de l’appel d’air, de son reflux, devant ce qui est le “sans-souffle” ? » Un homme retient sa respiration au moment d’approcher le corps de sa mère sans vie, « au souffle suspendu ». « Comment voir-respirer devant ce qui est là de la dépouille, étrangère à tout souffle ? ». Le seul moyen de réduire la distance inéluctable avec la gisante reste de respirer par les yeux. « Regarder en respirant n’est pas voir ». Le corps devient le lit d’une rivière d’où l’eau et le souffle se sont éclipsés. « Ma morte a laissé son souffle au portemanteau ; l’a accroché comme on accroche une vieille chemise ». Regarder par la bouche ?
Amandine Marembert
JUSQU'À L'ÂME
JACQUES MORIN
Gros Textes
(Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes)
45 pages – 6 €
31 poèmes pour dire le décès d’une mère. L’écriture se déroule en colonnes où défilent les pensées liées aux faits et gestes autour du deuil, les souvenirs, les lieux familiers revisités. « Disparue enfuie enfouie / on a beau chercher / téléphoner à droite à gauche / crier dans la cour dans la rue dans la ville / dans la forêt dans la campagne / tu n’es plus là / on a beau hurler fouiller / questionner / plus personne // on n’en revient pas / on n’en reviendra jamais ». Celle qui a donné naissance devient cendre. La boucle est refermée, la durée de la vie est consommée, « ce simple tiret entre deux dates ». Restent alors ce que l’on n’a pas fait et que l’on ne fera pas. « Vent et pluie / Pincent les regrets / ne pas // neige et brume / Mord le remords / ni ».
Amandine Marembert
UNE IDÉE DE JARDIN À BEYROUTH
JAMES SACRÉ
Ficelle
(Les Forettes – 61380 Soligny la Trappe)
non paginé – 7 €
Un livret de la collection « Ficelle blanche » tiré du parapluie de Vincent Rougier, qui a lui-même illustré le texte de James Sacré. Un « éditeur-graveur » et un « auteur-jardinier de mots » lis-je en manière de double dédicace. Le titre illustre parfaitement ce parcours de poèmes ou ces poèmes de parcours. Il s’agit là de la déambulation du poète, carnet à la main, dans un Beyrouth « où l’on ne distingue pas si bien / Le détruit de ce qui se construit ». Nous est alors proposé un singulier voyage à la recherche d’une végétation dans la ville. « Le jardin déborde sur le trottoir », un palmier « est à lui seul un jardin ». « Le jardin (...) c’est une femme installée là, (...) parmi tout un étalage d’herbes et de légumes ». De la verdure jusqu’entre les tombes et dans le cèdre du drapeau.
Amandine Marembert
EXACTEMENT LÀ
JASMINE VIGUIER
L’idée bleue
(85310 Chaillé-sous-les-Ormeaux)
86 pages – 12 €
On lit ce livre de poèmes comme on regarderait s’enchaîner les scènes successives d’un film d’animation. On emboîte le pas à un personnage, se demandant ce qui va lui arriver. Ce dernier rencontre en effet un grave problème existentiel : déboussolé d’avoir quitté sa ville natale, il essaie éperdument d’assembler un nouveau puzzle, composant difficilement avec les morceaux d’hier et ceux d’aujourd’hui. L’originalité de l’écriture tient au fait qu’elle traduit le déchirement entre le passé et le présent, le décalage entre les mondes intérieur et extérieur en proposant systématiquement un pronom personnel « je » distancié car il est sujet de verbes conjugués à la troisième personne du singulier. « Je est seul avec plein de noeuds en lui ».
Amandine Marembert
CADASTRE
COLLECTIF
Clarisse
(170 allée Sainte-Claire – 76880 Martigny)
161 pages – 8 €
Il s’agit là d’une aventure en équipe. Une anthologie de poèmes de dix poètes associés aux dessins de Sylvie Laroche. Cadastre, territoire livresque des poètes publiés aux éditions Clarisse. Prolongement de la collection « Parcelles », comme autant de lopins de terre assemblés pour former un puzzle singulier sur l’échiquier de la poésie contemporaine, envisagée comme « une résistance du corps dans un courant contraire, de branche abandonnée à la rivière sur laquelle s’aimantent plantes aquatiques et déchets humains ». Après la préface-manifeste, on retrouve avec joie des voix comme celle de Franck Cottet : « Tu dis les yeux ça ne sait pas mentir, les yeux toujours déshabillés, même à contre jour ». Éric Sénécal, Isabelle Guigou, Vincent Depardieu, entre autres.
Amandine Marembert
LE JARDIN OUVRIER
IVAR CH’VAVAR & CAMARADES
1995-2003
Flammarion
416 pages – 25 €
Quoi qu’on en dise ou en pense, cette parution est un événement. Un gros éditeur qui s’intéresse à une revue underground comme l’était « Le jardin ouvrier », c’est assez rare pour qu’on le signale. Mais il est vrai que la petite entreprise d’Ivar Ch’Vavar s’est rapidement démarquée de pas mal de consœurs par un positionnement original. Alors que beaucoup de publications – aujourd’hui encore – empilent les textes, les numéros, sans qu’on voit très bien ce qu’apporte une livraison par rapport à la précédente, en l’absence de parti-pris et de projet littéraire, la revue d’Amiens se voulait résolument expérimentale, inventrice de formes, tout en ne cédant pas aux postures trop souvent en cours dans certaines avant-gardes. Un livre pour l’histoire, donc, et pour l’avenir.
Romain Fustier