Faire revivre le présent

"Jusqu'à très loin" de Romain Fustier, lu et approuvé par Valérie Canat de Chizy, sur le site Terre à ciel.

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Romain Fustier, Jusqu’à très loin. Publie.net (L’esquif), 2021

Jusqu’à très loin de Romain Fustier relate des souvenirs de paysages traversés, de lieux dans lesquels l’auteur s’est trouvé, en couple ou en famille.

Ces endroits sont souvent des lieux de partage : le café de la place, où lui et sa compagne prennent un café, renvoie à plusieurs années en arrière, au temps de leur jeunesse où ils prenaient un café, au même endroit.

Ces lieux, ces moments, ne trouvent leur vraie raison d’être que parce qu’ils ont été traversés, partagés, à deux.

C’est l’histoire d’un amour, qui dure depuis longtemps, et l’aimée imprègne de sa présence, de sa sensualité, de ses paroles rapportées, chaque passage.


il y a du linge sur le fil on entend le ruisseau – tu réalises tu déclares – pendue à la fenêtre tes obsessions – la lessive ta rêverie étendues – accrochées dans ta tête l’air de cette nuit

C’est dire que ces paysages sont imprégnés de la présence de l’autre, l’aimée, la compagne, jusqu’aux cartes postales qu’elle envoie, aux lieux qu’elle évoque au téléphone, et que le poète s’approprie, laissant sa rêverie vagabonder, le conduire jusqu’à elle, qu’il imagine déambuler dans les rues de Paris ou d’ailleurs.


ta robe sur le palier comment la trouves-tu – t’ai écoutée me demander ça tu es partie hier – que tu vois un champ de coquelicots de l’autocar tu m’as téléphoné ça – et paris incarne depuis un désir celui de t’y retrouver – dans ces rues succédant aux rues

Souvent la féminité s’immisce, présence de l’aimée toujours, qui se maquille, se parfume, s’épile les sourcils, sa robe bleue pendue à un cintre


– tes bretelles / le ciel – et les prés tu les as enfilés sur tes épaules

Ainsi les textes nous entraînent jusqu’à très loin, portés par le sentiment amoureux, le désir, par le regard et la perception de la compagne, les impressions qu’elle partage


les épingles à linge sur les fils tendus aux fenêtres les lauriers contre les murs – et tu bois de cette ambiance cette ville – cet à vif je t’aime

Écrire ces moments partagés, c’est aussi les étirer, les rendre intemporels. Les moments passent, mais le souvenir et l’écriture les fixent. Le passé revit, dans toute sa splendeur.


les maisons de la belle époque les pêcheries de la côte – sans me les rappeler je m’en souviens – si mémorables me les remémore – les représente elles représentent tellement pour moi

Les sensations, les perceptions, oiseaux que l’on entend le matin, premières feuilles du cognassier, amandier en fleur, émerveillement devant la nature, évocation du jardin, traduisent une attention au présent, l’illuminent. Faire revivre le présent, le rendre toujours vivant et beau en se remémorant les souvenirs, les images, c’est peut-être ce à quoi Romain Fustier parvient avec ce nouveau recueil qui est aussi une déclaration d’amour :


le noir dans le noir tes cheveux dans tes yeux – j’écoute le bruit du vent dans la nuit dans la nuit le bruit du vent s’écoute – et le soir me rappelle que ta chevelure est sombre me fait souvenir de toi – avec de la patience dans la patience je t’aime – parmi tout ce qui m’entoure je te découvre – te vois à travers mon corps te reconnais comme ça – même sans te voir je te reconnais – tes pas qui sont les tiens je te suis – suis toi leur bruissement – confus continu – je frémis tu murmures – je frémis te revoilà