SEPT JOURS
NOURI AL-JARRAH
Europia
(15 avenue de Ségur – 75007
Paris)
60 pages – 10 €
Voici
un ouvrage bilingue arabe-français (traduit par Rania Samara) d’un poète syrien
reconnu, agrémenté de dessins signés Assem al-Bacha. Ce recueil de Nouri
al-Jarrah est un cri, on ne peut plus d’actualité (comme Elle va nue, la
liberté, de Maram al-Masri chez Bruno Doucey). Al-Jarrah, friand
usuellement d’un style hermétique, revient à une parole beaucoup plus directe,
c’est sans doute impossible de faire autrement : « Je n’écris pas un
poème / je me lacère la main sur le papier ». On y lit le désespoir d’un
monde qui, dans la guerre civile, perd son sens habituel : « Le
camion est arrivé. Hier encore il transportait des pastèques / aujourd’hui il
convoie des familles entières enveloppées dans des linceuls rouges, / des
paysans devenus fossoyeurs. » La couverture : un couteau planté dans
les fleurs...
LOIN
MARIE BOREL
L’Attente
(105 rue Mouffetard – 75005
Paris)
212 pages – 15 €
Une
maison d’édition qui se consacre maintenant à des textes longs, ce qui n’est
pas si commun dans le paysage éditorial poétique. C’est très souhaitable pour
ce recueil de Marie Borel, tout d’un souffle, et qui s’écartèle aux dimensions
de la Terre : « la géographie est un espace de pays translucides / à
déplier en soi. » Tout n’est pas limpide dans ce déchirement amoureux où
tous les lieux s’entrechoquent mais il y a justement ce suggestif de
l’évocation : « plus tard il comprendra ce qu’elle disait / et le
bleu immobile de l’île indécise. » Pas mal de bateaux, de Bretagne. Mots
anglais, latins, arabes, italiens, etc., une accolade au monde dans la gifle
des vents. Et la permanence de l’océan : « le bureau flotte sur
l’atlantique / comme une plate-forme offshore ». Une belle respiration
face à la mer.
LES AMOURS SUIVANTS
STÉPHANE BOUQUET
Champ Vallon
(01420 Seyssel)
100 pages – 12 €
On
attend toujours un nouveau recueil de Stéphane Bouquet en se demandant à quelle
sauce on va être mangé. Ici c’est une atmosphère sombre avec l’évocation de
jeunes gays suicidés mais il est aussi question d’économie, d’internet,
Facebook et de « pourquoi fais-tu en vrai de la poésie ? […] /
C’est très simple en fait : c’est parce que nous devons sans cesse voler
des choses à l’absence ». On se dépayse à Taïwan ou en Turquie mais domine
la même vision sensuelle : « ses dents frisent dangereusement la
poésie de la renaissance occidentale : / petit gravier d’ivoire qu’il a
plein la bouche ». Et ces images familières de recherche de fusion :
« Il y a toujours quelqu’un qui arrive lentement vers lui et le quitte
lentement et le laisse extatique : abeille inondée morte, agonisée dans la
confiture des visages ».
L’OSLO°
DIDIER BOURDA
Dernier Télégramme
(25 rue Aigueperse – 87000
Limoges)
172 pages – 15 €
Reprenant
le nom d’un bar nantais disparu, cet ouvrage est un brin tressé, mêlant La
Guerre de Troie n’aura pas lieu, Wagner et des événements de la seconde
guerre mondiale. Suit une liste d’attentats récents (de toutes origines
géopolitiques), dont celui de Norvège. Quelques documents en noir et blanc çà
et là. On y parle guerre, technique, moyens de transport, internet, enfants et
position du poète. Un livre s’interrogeant sur la parole aussi :
« les pavés auto-bloquants […] apparaissent de forme normale dans la
langue dont ils assurent l’emboîtement par des ergots invisibles en surface ».
Un écho de notre époque : « Le phénomène d’effondrement rapide
voire brutal. Peut-être délibéré mais est généralement la conséquence
accidentelle de. » Un subtil travail de polyphonie pour un livre très
actuel.
PAILLAGES D’HIVER
MARIE-DOMINIQUE CRABIÈRES
Les éditions du Tanka
francophone
(2690 avenue de la Gare,
Maskouche, QC, J7K 0N6 – Canada)
70 pages – 20 $
Une
bonne maison que ces éditions du tanka francophone, sises au Québec et qui
offrent une résonance, via une revue aussi, à ce genre japonais repris maintenant
dans le monde entier. C’est au cœur des Pyrénées que nous entraîne
Marie-Dominique Crabières, photographies en couleur à l’appui et l’on en
ressent tout de suite l’enracinement : « Souffle sur les braises /
passant par le bouffadou / la toux de mon père ». On y reçoit la nostalgie
des amours perdues en même temps que l’extrême présence de l’instant, comme il
convient dans le genre du tanka : « Giboulée de mars / visage et rire
éclatants / d’une femme enceinte / le manteau grand ouvert / offrant son ventre
à la pluie. » Une belle initiative éditoriale (jolie maquette) à suivre.
INCERTITUDE DE LA
NOTE JUSTE
BRIGITTE GYR
Lanskine
(39 rue Félix Thomas – 44000
Nantes)
66 pages – 12 €
Elégie
discrète autour d’un père violoniste, cet ouvrage frappe déjà par son titre qui
reflète bien la poésie de Brigitte Gyr, faite de positionnements et
d’hésitations. Après Parler nu (prix Charles Vildrac), elle appréhende
ici ce qui reste des cendres : « tu habites à présent / une terre
brûlée / semée de grands arbres ». La coupure est là, radicale, et qu’en
faire, a fortiori quand l’image du passé n’est pas univoque ?
« L’échiquier grince / sous la pression des noirs / peut-être la partie
n’est-elle pas totalement jouée ». Elle se rejoue alors dans le recueil
qui tente à sa manière de résoudre la question compliquée de l’impuissance face
au cours du temps : « on te cherchait un abri / on ne le trouvait
pas » pour finir par une réconciliation avec le présent : « idée
de poème / minuscule pêche de vigne exhalant son parfum ».
POURQUOI LA VIE EST
SI BELLE ?
CORINNE LE LEPVRIER
Lanskine
(39 rue Félix Thomas – 44000
Nantes)
62 pages – 12 €
Encore
un deuil. Il s’agit de fragments, presque d’aphorismes. La découpure ajoute au
fond. De même que la présence d’un enfant, Néo, dont le questionnement sur la
mort de son grand-père rend la disparition de ce dernier plus poignante, avec
ce mélange d’innocence et d’irrémédiable : « Néo a demandé si on
pouvait redoubler son âge ». Présence de Brest, de Saint-Nazaire,
recueil ancré dans la partance, les ports, le « coffre de pirate ».
Et cet aveu qui dit tellement ce qu’on peut ressentir : « C’est avec
toi que je voulais te pleurer ». Une belle écriture, dans le direct de
l’expression. Qui exprime cette transition difficile que de perdre ses
parents : « Ta voix qui disait mon prénom me nommait. »
Jusqu’à
la déchirure finale de l’annonce mentale : « Maman, papa aussi est
mort. »
LE ROMAN DE DIANE
SOPHIE LOIZEAU
Rehauts
(105 rue Mouffetard – 75005
Paris)
46 pages – 10 €
Un cadeau maternel pour toutes que cet ouvrage, dédié à la fille de
l’auteure, qui aborde la condition féminine sous l’angle de l’enfantement mais
aussi de la plénitude, y compris de la langue où elle remplace il :
« elle y a des phrases entières que je peux lire tout de suite,
transcrire ». La transmission se fait totale, de la femme enceinte vers la
fœtus : « durant qu’elle mûrit les livres jonchent, lire au lit pleine, contenant un
fruit. » Et en même temps l’on sent tout le fragile équilibre qu’il y a
parfois, et inhérent à la condition féminine même, entre jouissance affirmée et
crainte, nécessité malgré tout parfois de rester à l’affût : « la biche
aiguë […] qui sentant le danger continue à paître de toute son âme jusqu’au
dernier moment où elle détale. » Un des meilleurs livres de Sophie
Loizeau.
Armelle Leclercq