Entretien avec Christian Degoutte


Romain Fustier répond à Christian Degoutte. Extrait. 
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La revue Contre-allées émane à l’origine d’un groupe d’amis, et c’est donc avant tout, dès le début, une aventure collective. Ni comité de lecture de notables comme dans les grandes revues de l’establishment poétique, ni revue d’homme-orchestre. Le premier numéro de la revue est paru à l’automne 1998 ; j’avais vingt ans. Au départ, il s’agissait de donner à lire, d’une part, des inédits d’auteurs reconnus, de grandes voix de la poésie française, et dans un même temps, par un effet d’entraînement, de faire découvrir de jeunes auteurs prometteurs.
Contre-allées assume son rôle de revue générationnelle, de catalyseur de renouvellement. Elle sert principalement de tremplin aux voix émergentes, cette génération de jeunes gens nés dans les années soixante-dix/quatre-vingts, et assume ce choix, ce qui nous vaut souvent des reproches. Pourtant, la revue est attentive aux apports des générations précédentes. Pas sur le mode de la déférence ou de l’admiration béate : il s’agit plutôt d’opérer un tri dans ce qui s’est écrit depuis quelques dizaines d’années, de mettre en avant des œuvres qui, pour nous, sont d’authentiques réussites.
Nous n’avons pas de dogme théorique, de programme stylistique, mais nous savons ce que nous ne voulons pas. Nous sommes très attachés à la notion de voix, qui nous démarque des deux grandes tendances de la poésie actuelle : le lyrisme à l’ancienne, pathétique, routinier, et la poésie textuelle-performée, qui sort pour nous de la littérature pour aller vers le spectacle. Nous tentons d’éviter les impasses déjà connues, en essayant d’être à l’affût de ce qui nous surprendra. Nous n’aimons pas les mots trop généraux, l’abstraction un peu factice. Nous aimons ceux qui privilégient la juste expression, celle qui dira la vie même.
Notre travail revuistique est prolongé par les collections de livrets que nous publions aux éditions Contre-allées. Nous y donnons à lire des aînés envers qui nous avons une dette, dont nous reconnaissons les apports. Des plus jeunes aussi, ceux de la demi-génération précédente (comme Olivier Bourdelier, Franck Cottet, Albane Gellé, Marie Huot, Camille Loivier, Sophie Loizeau, Sophie G. Lucas, Valérie Rouzeau, par exemple), en qui nous nous retrouvons. Ou encore ceux-là qui forment le noyau dur de notre génération et de notre catalogue, dont nous accompagnons les œuvres en devenir ou accélérons la reconnaissance par les lecteurs. Je pense, parmi d’autres, et j’en oublie sûrement, à Armand Dupuy, Emmanuel Flory, Cécile Glasman, Matthieu Gosztola, Cécile Guivarch, Armelle Leclercq, Cédric Le Penven, Yann Miralles, Gwénola Morizur, Laurent Mourey, Philippe Païni, Etienne Paulin, Jasmine Viguier qui, tous, ont déjà été publiés – ou l’ont été après leur passage chez nous –, par d’autres maisons d’édition plus importantes.
À vrai dire, je ne me considère pas trop comme un éditeur. J’ai plutôt l’impression d’animer une sorte de collectif informel, aux frontières perméables, toujours en attente de nouvelles voix qui se sentiraient proches de notre univers, de notre climat, ou qui seraient aptes à nous étonner, nous déconcerter. Nous sommes donc un tremplin, pas un port d’attache.
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in revue "Décharge n° 169"