Faire désirer

Rémi Boyer présente le n° 39|40 de la revue Contre-allées sur le site Incoherism, spécialisé dans les avant-gardes.
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Cette belle revue de poésie fête ses vingt années de parution. Avec le soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, elle a développé le dialogue et les rencontres entre lecteurs et auteurs. En préambule à ce numéro, l’équipe s’interroge avec intelligence sur le sens de leur travail :
« Le revuiste serait une sorte d’architecte qui permettrait à toutes ces voix de trouver leur place, de donner à entendre leur timbre propre à l’intérieur d’un espace commun. Il – et lui-même n’en a pas toujours conscience, occupé par les contingences – fait ainsi acte de création, fait ainsi œuvre.
Mais quel bénéfice tirer, pour les poètes, d’un passage entre nos pages, au-delà du contentement de leur ego plus ou moins envahissant ? Pour un auteur, la publication dans une revue fournit l’occasion de s’interroger sur ses propres écrits, gagner en clairvoyance et en humilité.
Le revuiste et le poète se rejoignent alors : il s’agit d’exiger pour soi-même ce que nous exigeons des autres, dans une sorte de mise à l’épreuve qui tire vers le haut l’ensemble de la petite collectivité qui se réunit à chaque numéro, rassemble comité de rédaction et auteurs sélectionnés.
C’est cette lecture qui ne cède jamais devant ses propres facilités, vit sous la menace de la propension que chaque écriture a de se contempler elle-même, qu’apprennent ensemble revuistes et liseurs de revue – cette lecture vigilante, attentive, empathique comme pierre de touche de l’écriture à venir. »


En écho, comme pour souligner, le premier poème de cette livraison s’intitule Si l’auteur savait. François de Cornière évoque les relations singulières entre auteur et lecteur. Il cite Carson McCullers dans Le cœur est un chasseur solitaire :
« Il fallait que cela eût une valeur
si les choses avait un sens.
Et ça en avait et ça en avait et ça en avait.
Tout cela avait une valeur.
Très bien.
Parfait.
Une valeur. »

Oui, écrire, publier, éditer. Tout cela a une valeur et un sens car, entre autres, « la poésie se souvient de tout », confie encore François de Cornière.

Au sommaire de ce numéro, nous trouvons des textes inédits de Joëlle Abed, Olivier Bentajou, Alain Brissiaud, Anne Cayre, Igor Chirat, François de Cornière, Emmanuel Delabranche, Pierre Drogi, Alain Freixe, Jean-Pierre Georges, Joël Georges, Georges Guillain, Elsa Hieramente, Cédric Landri, Jacques Lèbre, Jean-Baptiste Pedini, Clara Regy, Pierre Rosin, Olivier Vossot et quelques autres surprises ou hommages.

Parmi ces textes de qualité, voici un extrait de retomber dans le monde de Georges Guillain :

« Certes dans le ciel cruel Il a conservé sa peau
peut-être pas sa peau d’enfant mais cette peau quand même
qu’Il examine pour y découvrir comme un fruit
la trace d’anciennes chutes qui purent être lumineuses
puis les grandes fleurs derrière les palissades des maisons
quand l’ombre sous les arbres tombe aussi tranchante
que la ligne ici du ciel au-dessus de la mer du nord.

Après Il ne reconnaît plus trop bien la campagne
dont les vents de septembre ont secoué l’exubérant feuillage
toujours à macérer dans la féroce humidité de l’air
Il cherche ce qui pourrait l’aider à mettre un terme
à ce désir impitoyable de permanence de voir toute sa vie
repasser sous ses yeux comme une belle faïence opaque
et bleue de Sarreguemines c’est à cela qu’Il pense
… »

Elsa Hieramente nous offre une poésie à la fois enveloppante et incisive :

« au ciel à l’infini
debout les pieds levés
à l’infini assis je songe

tu es sous le nuage
à la forme d’un nuage ainsi
partout tu es où j’appareille rien n’est semblable
tout est pareil

tu es le mage de mes nuits blanches
le sage l’errance
laisse toi moi faire le tangage roulis langage mes éboulis
être le radeau toi la mer moi l’envie
toi l’envers
… »

Une revue à soutenir, découvrir, faire désirer.
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