Tout dire

Claude Vercey évoque Et s'il ne parlait pas ? d'Amandine Marembert dans un de ses Itinéraires de délestage.
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On l'avait connu Petit garçon un peu silencieux (en 2010 – chez Al Manar). Quelques années plus tard, la question est devenue brûlante, et l'euphémisme n'a plus cours :  Et s'il ne parlait pas ?, s'interroge désormais Amandine Marembert (2013 – Les Arêtes).
 
où en est-il
est-ce qu'il parle un peu plus
je ne sais pas répondre à ces questions
certains jours il se tait
pour laisser le vent parler à sa place
avec des morceaux de phrases
déjà entendues de lui seul
 
Reconnaissons-le, un tel texte tend à désarmer toute expression critique : ne suffirait-il pas de donner des nouvelles, plutôt que de se livrer aux considérations habituelles, - de s'en tenir à l'avis de parution illustré de quelques extraits bien faits pour vous serrer le cœur ? Devrait-on, ici comme en d'autres domaines, abdiquer devant la toute-puissance de l'émotion ?
 
Il me plaît à penser que ces scrupules, fort respectables au demeurant, l'auteure a dû avant quiconque les formuler, en préalable à l'écriture, et plus encore à l'édition : le choix du vers, plutôt qu'une prose, est une réponse, marque la volonté d'inscrire ces deux livres dans l'œuvre poétique ; en conséquence de quoi, il s'agit de les lire et d'en rendre compte comme poème, et non comme, disons, extraits d'un carnet de santé amoureusement tenu, même si, d'une certaine façon, il joue aussi un rôle de mémoires.
 
Ce texte unique, en ses deux épisodes, appartient à ce domaine troublant de la poésie documentaire et à vif, qui à tout coup et à coup sûr déroute, brouille les genres et les limites, quand bien même on n'aura de cesse de rappeler qu'il revient à la poésie de tout dire. Ces textes où un poète contre toutes les bienséances affirme sa vérité, si dérangeante qu'elle puisse être, demeurent rares : mais je rangerai sans hésiter dans cette catégorie L'ange hypnovel (Dernier Télégramme éd.), de Françoise Clédat, que nous avons eu la chance d'entendre récemment à Bazoches ; aux côtés du Petit Viol, de Ludovic Degroote (et ce n'est sans doute pas coïncidence si Amandine Marembert a dirigé un dossier sur ce poète dans Décharge 155).
 
Oui, il faut un certain courage, une juste perception de ce qui peut et ne peut pas être exposé aux yeux de tous, pour faire de son fils et et de ce qui est socialement tenu pour handicap, un poème ; et pas mal de talent et de délicatesse pour avouer, rendre possible l'aveu, sans qu'il devienne un exhibitionnisme, rendre légères les phrases pour dire combien pèsent ses silences. « Est-ce que des mouvements des bras de mains d'épaules suffisent à remplacer certaines paroles ? » (Un petit garçon silencieux).
 
Et s'il ne parlait pas ? La situation n'a pas sensiblement évolué, serait désespérée sans l'entrée en scène de la petite sœur, qui tient désormais le rôle du chœur, qui commente, tient à distance, qui mieux que quiconque comprend :
 
Il ne parle pas comme on dit
affirme sa petite sœur
il parle comme on dit pas
plus loin derrière
ou plus près devant
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