Automne-hiver 2005

CE QUI FLOTTE ENCORE
FRANCK COTTET
Clarisse
(170 allée de Sainte-Claire – 76880 Martigny)
96 pages – 12 €

Ce qui flotte encore lorsque l’on referme ce recueil : de petits poèmes suspendus le plus souvent la tête à l’envers, au bas de la page. Ils vous laissent pensifs, évasifs. C’est bien de l’évanescence des visages, des voix, des corps, des souvenirs dont il s’agit. Tenter de dire ce qui reste des choses vécues en frottant les mémoires les unes aux autres. Composer avec les particules de poussière de l’oubli qui tourbillonnent dans la lumière. « Des petites lumières d’années / courts-métrages / on revoit des passages / on se dit qu’à certains endroits / la pellicule est toujours nette ». Il y est question de l’enfance lointaine et proche, d’un parent devenu seul. On repense à Patiences de Valérie Rouzeau. Ce livre mesure très bien la taille d’une vie, soupèse l’usure de sa corde.
Amandine Marembert


IL Y A DES ABEILLES
CHRISTIAN DEGOUTTE
Pré # carré
(52 quai Perrière – 38000 Grenoble)
3 livrets non paginés – par abonnement

Rares sont les recueils qui touchent autant le lecteur. C’est un chant d’amour adressé à la femme perdue. « Le tambour / de mes paumes contre la terre / non non non / je ne suis pas d’accord / avec ta mort ». L’écriture est d’une beauté incroyable. « Tu dors dans ton pelage d’herbes dans ton berceau de pimprenelles ». L’entremêlement du corps avec la nature est tendre et violent à la fois. « La mauvaise herbe le chiendent / et le liseron t’enlacent à mes mains // à travers la terre à gros galets / ils cousent mon souffle / à tes os ». L’absente habite l’homme, les enfants et la réalité par-delà sa « couverture de terre ». Les mois qui passent la font grandir comme un bébé : « l’hiver prochain / sans tenir ma main / tu feras seule / tes premiers pas de morte ».
Amandine Marembert


DES AILES
CHANTAL DUPUY-DUNIER
Voix d’encre
(BP 83 – 26202 Montélimar Cedex)
Non paginé – 16 €

Après Initiales et les poèmes de la mort, voici Des ailes, poèmes de l’amour et de la vie, habités par la passion pour l’homme aimé. Son corps. Son territoire. Les rêves et les désirs qu’il fait naître : « Iris de coupe tendre, / où les veines du bois / initient les phrases du poème/ Ton regard de vin nouveau / bu un soir de novembre / entre mes mains tremblantes ».
Homme fertile qui donne son élan à l’écriture, qui noue visage et paysage, tous deux suggérés par les encres noires et vert sombre de Michèle Dadolle.
Le dernier recueil de Chantal Dupuy plonge à la source du désir et étend ses ramifications dans l’évocation ardente de l’amour partagé.
Emmanuel Flory


SUR LA MUSICALITÉ DU VIDE 2
MATTHIEU GOSZTOLA
Atelier de l’agneau
(Le Vigneronnage – 33220 St-Quentin-de-Caplong)
72 pages – 12 €

Ce deuxième opus de Mathieu Gosztola prolonge un travail déjà abouti sur la forme brève. « Quel bloc de mots tailler / pour exprimer comment je vais ? », telle est la question liminaire d’où semble découler chacun des éclairs poétiques qui strient les pages du recueil. Aussi le travail de l’écriture participe-t-il d’une tentative d’arrachement de soi à la totalité du réel, tentant de « mettre à feu notre vie / pour que la partie qui ne brûle pas / nous apparaisse ». Plus on avance dans le recueil, plus les instantanés du début s’allongent et s’amplifient, sans rien perdre de leur caractère lapidaire. Ainsi les poèmes consacrés à la mort du père tissent un fil directeur qui manquait peut-être pour donner une unité à l’ensemble et tenter de conjuguer fulgurance et cohérence.
Emmanuel Flory


PATAQUÈS
ARMELLE LECLERCQ
Comp’Act
(Carré Curial – 73000 Chambéry)
184 pages – 21 €

« Pénétrez dans mon vers, pénétrez dans ma tente,/ Et qu’ils soient votre lieu ». C’est en ces termes qu’Armelle Leclercq nous invite à tisser des liens entre le Nord et le Sud, entre Belleville et le Caire mais aussi, bien sûr, entre les mots. L’étymologie – fantaisiste ? – de pataquès viendrait ainsi d’une expression où se serait dissimulée une faute de liaison, « je ne sais pas-t-à-qui est-ce ». Le travail du poète, qui conjugue style oral et forme versifiée et rimée, consiste au contraire à tisser les liens entre la langue et le réel, entre la ville occidentale et la cité orientale avec, en guise de trait d’union, l’observation du café « Balthazar », troquet aux parfums d’Afrique du Nord riche en scènes comme de vie croquée sur le vif.
Emmanuel Flory


UN PAYS TRÈS PRÈS DU CIEL
THIERRY LE PENNEC
Le dé bleu
(85310 Chaillé-sous-les-Ormeaux)
88 pages – 10,50 €

Un titre très beau je trouve, qui traduit exactement la familiarité du poète avec les éléments. La langue y est rugueuse, pleine de la sueur et des ahanements de celui qui travaille les champs et le jardin. « La trace dans l’herbe / brillante et bleue “pas assez de profondeur” me dit-il 20 fois / pour bien que je comprenne /le réglage de la charrue monosoc ». Des poèmes aux formes diverses comme les jours, changeants avec le temps. Certains sont en escalier, brouillant les sillons et les traces du chemin. L’amour de la nature se mêle à celui de l’amante. « Mon front contre le sien / comme les bêtes à l’attache se connaissent ». Le père de famille, aussi, contemple ses enfants. Un recueil à lire, vraiment, « coup de feu dans le ciel il pleut / soudain des morceaux de bleu ».
Amandine Marembert


ENVIRONS DU BOUC
SOPHIE LOIZEAU
Comp’Act
(Carré Curial – 73000 Chambéry)
136 pages – 17 €

Aux environs du bouc, invoqué pour sa charge bestiale et sexuelle, on trouve, dans un univers baroque et bigarré : Pan, Priape, des monstres, des masques, des anges, des sexes, d’homme, de femme. « Bouc je te sale la tête et le cul je te / conjure et t’attife / de hardes / c’est la queue de l’homme qu’il faut saler (dicton) moi je cours / après la vigueur de l’arbre quand il jouit le sujet mâle / décline le démon nenni / a horreur du sel je l’excrète par les larmes / le jardin transformé en saline ». Heurts. D’images. De corps. Anacoluthes. Syncopes. Mots crus. Subversion des clichés. Du profane et du sacré. De l’intime et de l’ordre du monde. Dans ce recueil, la langue et les langues tressaillent pour exprimer la fascination et la violence du désir.
Emmanuel Flory


LA NUIT REVENANTE, LA NUIT
JEAN-LOUIS RAMBOUR
Editions des Vanneaux
(64 rue de la Vallée de Crème – 60480 Montreuil-sur-Brèche)
Non paginé – 10 €

La nuit dont il est question dans le titre du recueil, c’est la « nuit majeure ». Celle qui existait avant que le monde ne soit baigné de lumière, celle qui attend chacun de nous après la vie, celle qui est signe du cycle cosmique dans lequel s’inscrivent nos existences. « Nous sommes venus voir et revoir / ce qui a disparu et va s’évanouir », affirme le poète, évoquant un ici et un maintenant qui pourraient être ceux d’un avant ou d’un après chaos. En réalité, il reste tout aussi difficile de définir l’espace-temps évoqué tout au long du recueil que l’identité de l’énonciateur qui se confond parfois dans l’anonymat de l’indéfini. Mais c’est justement de cette poétique de l’énigme que naît le charme de cette langue qui oscille entre ruptures et lyrisme.
Emmanuel Flory


SANS DOUTE QU’UN TITRE EST DANS LE POÈME
JAMES SACRÉ
Wigwam
(14 boulevard Oscar Leroux – 35002 Rennes)
Non paginé – par abonnement

Avant tout, le regard est attiré par ce bel objet-livre : une couverture rouge comme un écrin entre laquelle se glissent deux in-quartos où des peintures monochromes de Mariène Gâtineau accompagnent les poèmes de James Sacré. Faut-il couper les pages ? Les déplier ? Peut-être doit-on simplement chercher le titre au cœur de l’ouvrage… En chemin, on se familiarise peu à peu avec l’univers domestique et intime dessiné par le poète dans le style simple qu’on lui connaît : une maison est célébrée, dans l’attachement qu’on lui porte, dans le souvenir que l’on garde d’elle, malgré le triste destin qui est le sien. « Un jour la maison n’est plus / Ni dans le temps ni dans le monde. Elle est morte. » Ne lui reste plus alors qu’à habiter l’espace du poème…
Emmanuel Flory


LA LIMACE À TÊTE DE CHAT
LUCIEN SUEL
Station underground d’émerveillement littéraire
(7 place de la Tiremande – 62960 Ligny-les-Aire)
44 pages – 4 €

Ce petit recueil à jaquette jaune, au titre si chouette, restera toujours, pour moi, lié au souvenir charmant laissé par le Festival des poètes au potager à Montluçon les 17, 18 et 19 juin derniers. Lucien Suel, l’invité, nous a donné ses 44 dessins soigneusement rangés à l’intérieur de ce livre. Chaque feuillet-illustration est volant. Au lecteur de l’étaler sur sa table, sur son lit, de l’épingler au mur, de l’offrir, d’en disposer comme il l’entend. Chacun des dessins porte un titre simple qui dialogue avec l’image. Humour et décalage sont de mises. Exemple : « La limace à tête de chat perd la tête ». À vous de deviner. Vous pouvez même commander un dessin original colorié en choisissant parmi les titres. Laissez-vous tenter par cet animal de fausse compagnie.
Amandine Marembert


TU T’EN VAS
MAGALI THUILLIER
Le dé bleu
(85310 Chaillé-sous-les-Ormeaux)
80 pages – 11 €

Voilà un recueil qui s’inscrit dans la ligne éditoriale Le Dé bleu / Pas revoir, à tel point que certains poèmes semblent faire des clins d’yeux aux textes de Valérie Rouzeau. « Pas voir. Au revoir. Pas tout de suite. Pas ma grand-mère. Pas toi. Pas moi. Pas ». Il s’agit de l’évocation du deuil d’une conscience. La langue est simple, efficace, touche droit au cœur. « Une étrangère s’est glissée dans ton corps. Elle prend ta voix. Elle vit chez toi. Elle me vouvoie. Je ne lui réponds pas. J’attends que tu reviennes. Reviens ». Les textes se répondent, oscillent entre l’aujourd’hui cru et dur, et l’hier filtré et doux. L’italique donne corps au souvenir : « Odeur de chicorée, de pain grillé, de confiture. Odeur de laque, de savon de Marseille, de crème Nivéa ». Si beau...
Amandine Marembert


POIRIER PROCHE
JEAN-CLAUDE TOUZEIL
Le chat qui tousse
(Le Déharais – 44130 Bouvron)
36 pages – 5 €

« Le poirier / est de loin / mon voisin / le plus proche » ou l’histoire, en une série de poèmes allongés, d’un poète qui regarde l’unique poirier qui occupe le cadre de sa fenêtre, à moins que ce ne soit celle du poirier qui observe le poète. Des textes qui font le poirier, jouant du fragile équilibre entre le concret et l’abstrait, pour chuter admirablement. Un poirier personnifié donc, mystérieux et familier, dont on aime suivre le cours de la vie et des pensées. Un poirier « sauvage » quand même, libre de tout, composant à son gré avec le ciel, les animaux, les plantes, les hommes. « Les nuits / de lune rousse / le poirier / fait le clown / il jongle / avec les étoiles / pendant / cinq minutes / au moins // C’est beau // Parfois / le matin / il reste / une étoile / dans l’herbe ».
Amandine Marembert