Une note de lecture de Bruno Normand sur "La petite qu'ils disaient" de Cécile Guivarch, paru aux éditions Contre-allées, dans la collection Lampe de poche, aujourd'hui épuisé.
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La petite qu’ils disaient. Cécile Guivarch. Contre-Allées (collection Lampe de poche). 2011 et / Sans Abuelo Petite. Éditions Les Carnets du Dessert de Lune. Bruxelles 2017.
Autre présence au monde et pas des moindres puisque c’est celle de
notre hôte Cécile Guivarch. J’avais depuis un moment fort envie de lui
rendre hommage et l’occasion là m’en est donnée grâce à un petit livre
paru il y a quelques années maintenant et que je découvre seulement ces
jours. La petite qu’ils disaient / ce présent bienvenu tant
j’attendais signe et le voilà / alors dans le Geste, lui rendre la
reconnaissance qu’elle mérite. Je revendique ici bien évidemment que
c’est avec un à priori favorable que j’ai accueilli la venue de ces
pages comme si cela avait été la chaleur d’un petit corps de mésange, un
petit corps de passage venu se blottir en ce début janvier dans la
chaleur de mes mains. Aussi c’est en toute subjectivité que j’avoue
m’être laissé prendre à ce petit miracle là, avoir eu conscience pendant
toute sa lecture d’accompagner quelque chose, du vivant (cela m’avait
fait ça avec le Polder de Valérie Rouzeau, A cause de l’automne à sa sortie dans les années 90).
Avec La petite qu’ils disaient / je me suis surpris à ponctuer à voix haute toutes les deux ou trois pages d’un / c’est extraordinaire
/ tant ce petit-grand livre contient en lui tout ce qu’on cherche sans
jamais vraiment le trouver. Si, on la trouve parfois cette fraîcheur
bien sûr mais dans quelques haïkus, dans les quelques haïkus de
quelques grands maîtres du passé qui me sont chers… et là, cela nous
vient / de la petite Cécile, de cette gosse les yeux grands ouverts, le
cœur grand ouvert et l’intelligence qui va avec. Elle était enfant,
aussi ces souvenirs précis lui auront été probablement remémorés
(d’ailleurs elle le souligne et les remercie chacune et chacun des
protagonistes de cet ouvrage, n’oubliant aucun des prénoms)
En deux lignes il s’agit de quoi…
d’une enfant élevée (le mot élevée est le mot qui convient) entourée
des résidents d’une sorte de pensions accueillant les tombés de
l’arbre, les abîmés de la vie, les meurtris, les cabossées, les éloignés
du feu, les personnes bien âgées … la cloche
rythme les heures / n’ont pas idée de vie de mort si rides au /
coin des yeux si rictus éclats de rire contents / d’être là ou pas[…] /
sont là comme arrêtés […] chaque jour à regarder qui[…] jusqu’à
la cloche qui sonne les repas
c’est dans cet environnent qu’elle l’apprend, l’approche la vie. Une
éducation ainsi avec des parents employés à cela / vivre avec eux tous
les moments de la vie
/ la vie dans ce qu’elle est au quotidien. C’est avec des
mots crus qu’elle nous la raconte, qu‘elle ne le la trahit pas cette vie
à leur contact, et également avec humour qu’elle nous la traduit cette
petite enfance riche en amour, en tendres échanges / par exemple avec
celui-là le gros Bernard lui promettant / quand tu te marieras je / t’offrirai une rose
La petite qu’ils disaient / les mots sont pesés… c’est un
véritable petit chef d’œuvre, et maintenant je comprends mieux la
chaleur et la générosité reçues lors de mon premier contact avec elle.
Car c’est un tout, je crois chez Cécile Guivarch / son travail de
revuiste, d’auteure, de femme, de mère, de fille, de femme active et de
et de… trouvant pour chacun le temps / d’être là. Une énergie nourrie,
partagée et cela, je crois résolument constitutif de son travail
d’écriture, d’une œuvre en cours.
Cela est force d’un livre tel le sien, de nous donner à réfléchir sur ce qui nous entoure et ce que nous apporte l’autre. Il le dit ce texte à travers tous ces personnages, ces personnes, ce que sont les présences, ce qu’est une présence. Au mieux l’actualisation de tout ce qui fut, ce qui est et ce qui va / en nous. En témoignent page après page ces portraits / cette femme-enfant / derviche tourneur à ses heures et qui s’offre transe, danse [...] ses gros mollets ses poils ses varices son gros derrière / sa grosse bouche avec du gros rouge bourgeois qui brille et déborde / elle rit tant elle s’amuse d’être là à danser en rond sur elle-même presque une boite à / musique un culbuto qui tombe nez contre terre et qui rit encore /
celui là fait sa crise il ne bouge plus / sauf ses mains qui serrent de plus en plus / fort [...] mon père ne sait comment le dégager lui enlever les mains du grillage / il continue de serrer il ne bouge plus il ne / parle plus il serre toujours / puis / il pisse dans son froc desserre tout s’effondre
et cette femme-là, la Paulette une châtelaine, elle l’aurait été
avant que quoi / une méningite la conduise ici maintenant elle
tricote des écharpes de dix-huit mètres / et écrit aux gendarmes elle
le marmonne cela / les gendarmes si gentils si mignons elle les
aime. Dans cette petite communauté, il y a encore le
Jean-Claude qui étincelle si on lui offre main chaleur à l’intérieur
de lui cela le redresse, lui donne une colonne vertébrale juste le
temps de la chaleur, l’énergie reçue /
Au-delà d’une atmosphère fellinienne de ces scènes de vie, il y a une
réalité beaucoup moins drôle / les jours où c’est la merde, pour
reprendre et résumer cette page 18 / fait divers du jeudi 20 mai
1982 / un deux trois ont la courante / […] Juliette lance la
merde[...]tapisse les murs / Carmen la prend la balance à la tête du /
docteur et que dire de Blanche qui d’un coup ne l’est plus et de Georgette qui pisse dans les seaux de javel et d’ André...
et lui / érigé [...] il y en a un qui bande devant sa fenêtre / il bande il en voit des femmes à sa fenêtre / coté place de la mairie / toutes des mariées lui que personne ne / veut lui qui n’est pas fréquentable[...]mais qui bande de là-haut à les voir toutes se marier il se les prend toutes les mariées là coincé dans le radiateur
de même cette jeunette qui / accourt quand le bon pépé qui / la
nique l’appelle du haut de l’escalier […] elle a sa main dans sa
braguette il lui / caresse les nichons […] ainsi va la vie, dans
un remake de Roméo et Juliette / là pépé recevant pluie d’elle, pluie
d’or d’Irène, de sa pépée au balcon
sont ainsi ces gens, sont comme ils sont / à défaut de la vivre, ils
se la racontent parfois, ils survivent ainsi / celui- là même se la
rêve, se la revit / il grimpe sur un tracteur invisible et laboure
(d’invisibles champs) l’invisible devant, derrière, par coté, devant
l’invisible là partout déjanté il s’élance pipe à la
bouche[...]freine / fait crisser il dit / vas-tu la faire la marche
arrière / saloperie de machine saleté de tracteur sale / bête
sont ainsi ces gens, sont comme ils sont / lui peut-être ancien médecin, bouche ouverte il crie il crie il crie après qui quoi il aboie le monsieur sa chair emprisonnée aboie
et que dire de celui là, peut-être le plus touchant / lui il lui manque l’odeur de la mère [...]la mère est partie l’a laissé là se débrouiller seul / dans ces pages ils défilent.
La force de cette écriture en est troublante, comme s’il suffisait à
Cécile Guivarch pour écrire, de se laisser aller juste à se souvenir et
nous y sommes avec chacun d’entre eux / touchés par ce qu’ils sont. Ce
n’est certes pas la chair, la matière de nous qui s’impose dans ce livre
bien qu’à plusieurs reprises j’ai pensé aux toiles de Bacon mais non,
ce n’est pas cela / là ce serait plutôt un livre sur l’énergie
qui traverse les êtres, l’énergie garrottée chez eux à certains endroits
du corps, de la psyché, (de l’âme), l’énergie bloquée les fixant là
pour l’un à un grillage, les épinglant là pour d’autres tels des
papillons figés dans leurs vols, leurs devenirs et pour d’autres encore
de l’énergie à n’en savoir qu’en faire… la distribuant, la giclant /
leurs brusques et incontrôlables comportements alternant ici et là /
élans, fulgurances, ratures, dans une sorte de
dripping à l’intérieur d’eux-mêmes n’obéissant qu’à une nature
dévoilant par éclairs toute sa complexité.
Aussi je comprends très bien ce que la petite trouvait les dimanches à
l’église à regarder le Georges ou la Jacqueline, ce qu’elle y captait /
elle n’en peut plus de chanter la bouche grande ouverte [...]
elle chante Alleluia […] à regarder / le curé donne l’hostie enfin la
fourre dans la bouche de Paulette la langue sortie elle dit merci merci
merci monsieur le curé / à découvrir l’étrangeté, ces étranges présences
vous l’aurez compris, les commentaires ici sont de trop tant ces
pages sont sans fard, tant elles imposent scènes de vie, en quelques
lignes tout est dit / ce qui se voit, ce qui ne se voit pas,
l’amour lien, l’amour des siens, des autres, le mal à
l’autre, / lui, là on l’appelle le muet sauf qu’il n’est pas tout à fait muet il émet des sons il a le
regard intelligent [...] j’aime parler avec le muet […] le muet
aime me parler aussi il ne me lâche pas la grappe
Dans sa petite enfance Cécile Guivarch à sa façon a vécu quelque
chose d’assez précieux, ce témoignage chie la force et l’empathie, pour
tout dire il m’enchante et me scotche. Il n’est pas utile je crois de
décortiquer à quoi tient le mystère d’un livre réussi / car c’est à
l’évidence à peu de chose je crois / à une respiration, un souffle
traversant une belle présence au monde si l’on en regarde celui-là.
Dans ce monde flottant, avec une actualité du monde pas forcement évidente à contenir pour certains d’entre-nous, il n’est pas inutile loin de là, d’avancer parfois les yeux fermés et de tendre ses mains vides. C’est une possibilité d’en être remercié en recevant en retour ce que nous n’attendions pas, un balancier parfois à nos présences en gite, les heures de fortes houles… Osez lire / La petite qu’ils disaient
Dans ce monde flottant, avec une actualité du monde pas forcement évidente à contenir pour certains d’entre-nous, il n’est pas inutile loin de là, d’avancer parfois les yeux fermés et de tendre ses mains vides. C’est une possibilité d’en être remercié en recevant en retour ce que nous n’attendions pas, un balancier parfois à nos présences en gite, les heures de fortes houles… Osez lire / La petite qu’ils disaient