Jacques Morin évoque le n° 37|38 de la revue "Contre-allées" sur le site de la revue "Décharge".
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Le numéro est dépouillé. Un édito rapide d’Amandine Marembert : Vivre en poésie, ce n’est pas seulement l’écrire et la lire, mais aussi une manière de se positionner face à ce qui nous entoure et, à la fin, une petite douzaine de critiques de livres et de revues par Armelle Leclercq, Aurélien Perret et Romain Fustier. Ainsi que la « question croisée » (À qui parle le poème ?) posée à quatre auteurs : Albane Gellé, Alain Guillard, Rémi Checchetto et Sylvie Durbec et, par conséquent, entre édito et notes de lecture, un catalogue de plus de vingt poètes.
Une demi-douzaine de locomotives d’abord. Et en tête Serge Pey, énorme poète, généreux et prolixe. Les textes publiés ici sont peut-être davantage circonstanciels que d’habitude, sur Charlie, la mort de François Maspéro et d’autres amis de l’auteur. Ils racontent et inventent une réalité à la limite de l’imaginaire et du tangible et s’éloignent de l’abstraction sémantique habituelle. Mourir est une capacité / semblable à celle de vivre / Tout est affaire de point de vue. Ensuite, Christine Bonduelle qui pose la question poétique par excellence pour ouvrir : Où va le blanc de la neige quand elle fond ? Elle attribue des signes pour nommer ses personnages un peu comme dans l’écriture théâtrale : § mère & fils # … Ainsi : § Le corps gueulant au foutre / Foutu / De sa semence… Gérard Cartier : poèmes extraits de « Les métamorphoses » qui vient de paraître au Castor Astral, avec des espaces ou des blancs pour séparer les vers sur la même ligne, ce qui donne une écriture saccadée, haletante, suspendue. Jean-Gabriel Cosculluela, avec des poèmes tirés de « Nuidité du noir » (dédié à Pierre Soulages) :Remonter / le noir / jusqu’à / la source / il n’y a pas de fin…Emmanuel Damon : Le vent qui prend forme dans le linge continue de malmener les ombres… Bernard Moreau qui débute ses poèmes par ça : Ça pousse … Ça sort… Ça vient du gris … Ça vient du noir… Ça vient du fond… Isabelle Pinçon fait visiter les « piècesdelamaison » et pour l’heure la cuisine en particulier : on irait bien faire le reste du tour du propriétaire en sa compagnie. Julien Boutonnier qui ne met pas d’initiale aux jours de la semaine dans son journal. Sabine Chagnaud avec quatre poèmes ambigus et difficiles, titrés « Splendeur du ventre ». Jean-Nicolas Clamanges qui titre « invers » une série de poèmes en distiques. Franck Cottet très lapidaire. Odile Fix, de même. Philippe Depoux qui observepluie sur le jardin avec cet échouage / momentané du regard... Christian Garaud : qui attrape un fantôme ? / Corps maison hantéeIl reste les voix, les mots, les souvenirs et les images, et l’écho dans le vide. Puis un Thierry Le Pennec très surprenant, pas du tout rural, propulsé en Californie chez son frère, une poésie passée free-way par la beat generation, mais toujours le souci de l’origine et respect pour les Indiens. Cédric Le Penven qui sait recentrer la source au milieu de la ville : dire le mot est un visage qui se rencontre dans l’eau que retiennent deux paumes au matin Hervé Martin : [l’enfant]Il mesure / dans le flux des regards / l’inquiétude pesante / qui recouvre les jours Lola Nicolle qui donne une suite : « Gaza cosmos ». Marina Skalova enfin qui propose huit poèmes en français et en allemand d’un recueil à paraître chez Cheyne (Prix de la Vocation).
A la question croisée du début (À qui parle le poème ?), Albane Gellé répond : Le poème est un souffle et il est comme l’air, il circule […], il fait le lien, il va de quelqu’un à quelqu’un… Puis, plus loin : un poème va augmenter l’intensité du présent, [il] provoquera une émotion comparable à celle de la rencontre avec un chevreuil, ou un renard, au détour d’un chemin de forêt… Ce à quoi Sylvie Durbec répond en écho : Avec le poème, je parle au présent. Enfin de son côté Alain Guillard répond d’une manière diamétralement opposée : Aux morts qui coagulent en nous…
Contre-Allées est une revue toujours en recherche de ce qui se fait, se fomente aujourd’hui. C’est rarement apprêté ou abscons, c’est très souvent riche et pertinent.
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