Un éditorial éclairant


Rémi Boyer vient de consacrer une note de lecture au n° 35|36 de la revue "Contre-allées" sur le site "Incoherism". Il évoque la pertinence de son éditorial - qu'il reproduit intégralement -, propose quelques extraits choisis aléatoirement de Laurent Mourey, Anne Belin & Sylvie Durbec, et souligne tout son intérêt pour l'illustration de couverture de Valérie Linder.

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Cette belle revue de poésie contemporaine commence par un éditorial éclairant sur la situation de la création poétique actuelle, que nous reproduisons intégralement, vu sa pertinence :
« Poésie romantique-essentialiste ou bien poésie textualiste-performée, poésie textualiste essentialiste quand les deux font la paire : l’horizon de la poésie contemporaine semble parfaitement délimité. Les ouvrages à paraître prédisposent aux commentaires qu’ils susciteront, ne susciteront pas. La situation est confortable, les rares secousses prévisibles, les positions déjà connues.
Derrière son apparence de liberté totale, la même que celle déifiée par le libéralisme économique conquérant et la société de consommation triomphante, la poésie d’aujourd’hui vit sous le règne du maintien de l’ordre établi. Tout est déterminé, figé, fixé, jalonné, jusqu’aux programmations des gros festivals. La pensée du poème, du coup, semble assignée à résidence.
La poésie actuelle ressemble à deux versants de vallée qui se feraient face en se tournant le dos. Du haut de leur belvédère, les tenants de ces deux tendances contrôlent l’accès au paysage, leurs croyances prêtes à être dégainées. La poésie actuelle n’est souvent que le résultat de ce binarisme qui conditionne presque toutes les opinions, chacun s’arc-boutant sur ses conformismes.
D’un camp à l’autre, on croit tenir de loin en loin quelque livre sensationnel. Il ne s’agit en fait que d’un produit idéalement formaté eu égard aux discours qui serviront à le légitimer. Il en est ainsi des poètes comme du personnel politique, des économistes médiatisés ou des pédagogues officiels : le système s’autoalimente, déployant le peu qu’il lui reste d’énergie pour éliminer les voix discordantes, les intrus qui pointeraient leur nez.
Or le poème en a marre. Il est l’expérience rythmée d’un sujet face au monde, et ce, quelle que soit l’expérience. Il a conscience d’être une dynamique, un mouvement de création perpétuel, une forme de vie. Contre-allées se doit de l’accueillir d’où qu’il provienne – du haut des crêtes, de la mi-pente ou du fond de la vallée -, pourvu qu’il soit cette expérience rythmée. Quitte à aller à l’encontre des attendus de la vérité politique officielle. »
Une trentaine d’auteurs sont rassemblés dans ce numéro. Voici quelques extraits choisis aléatoirement :

Cet oubli maintenant

le possible silence est mon terrain vague
juste ne pas faire taire mais résonner
juste dans quel sens le sens
possiblement trouvé désespère va fuir
loin maintenant il était une fois rebondir
changer de place ne rien laisser quand le silence
s’échappe
Laurent Mourey

 
En compagnie d’amour

Un peu plus tard et réfrénant
sa coloration interrogative, dos
devant le buffet, sa profondeur
à moins que ce ne fût
rougeâtre le linoleum du gymnase :
profondeur de mythe creusée
d’instant en instant – j’avais pleinement conscience alors,
marque rougeâtre et colorée, que je
me souviendrais de ta proposition
dans un âge avancé : me ramener en voiture.
Anne Belin

         
Plus que tout le vent l’arbre l’air le soir

à nouveau dans une chambre
à nouveau loin du cerisier
et du vent amical

plus tard
sur l’oreiller
je vois la trace de la tête des morts
je ne sais pas comment la mesurer

de la maison
pour l’arbre à chair de forêt
il ne reste rien à voir.
tandis que j’étais immobile allongée
enfermée retenue
le manteau des voyages bien rangé
l’arbre me montrait
comment bouger.
Sylvie Durbec


Et d’autres découvertes dans ce numéro qui offre en couverture une très intéressante illustration de l’artiste Valérie Linder.
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Vous pouvez retrouver son article ici :
[https://incoherism.wordpress.com/2015/08/17/contre-allees-n35-36/].