A quoi pensent les poètes ?

Sur le site Encres vagabondes, Claude Darras consacre une note de lecture détaillée au dernier numéro de la revue Contre-allées.

Dans la revue Contre-allées, j'ai retrouvé ce que l'écrivain et poète genevois Georges Haldas (1917-2010) nomme l'état de poésie, une façon de pratiquer un questionnement primesautier, coruscant, salvateur. De la même façon, Ariane Dreyfus, Marie Huot, Cédric Le Penven, Philippe Païni, Serge Ritman, Christian Viguié, Jacques Vincent et Mira Wladir, entre autres, sont eux-mêmes sommés, par Amandine Marembert et Romain Fustier, animateurs de la publication, de répondre à cette question si banale et si indiscrète, que l'on pose quand se perdent les regards des gens : "À quoi penses-tu ?".

Rien de suave et de convenu, loin s'en faut, dans le dire de Patricia Cottron-Daubigné, "Paysage au métal", quand bien même elle nous fait toucher du cœur les jolis mots tzigane, roulotte et bohémien. Car la fable est cruelle qui déplore que les mots ainsi que les choses et les gens qu'ils désignent soient circonscrits par les barbelés de l'intolérance. Fantaisie allègre du propos, "Au creux de nos mains", de Christian Garaud (né en 1937) : on l'imagine encore en adolescent insouciant qui va comme un funambule avec ses balanciers de mots. L'explicitation d'Etienne Paulin est fondée à privilégier tous les sens dans l'acte de création : "Ce qui fait courir la main sur la page, révèle-t-il à Cécile Glasman et Matthieu Gosztola (dans "la question"), c'est le désir d'écrire ce que j'entends (bien plus que ce que je conçois), les mots étouffés, assourdis, vivant à l'ombre de leur sens comme un réseau d'harmoniques (…). La poésie ne se confectionne pas, pas plus qu'elle ne se pèse, se mesure, se tempère : il arrive qu'elle surgisse comme un coup de fouet, une odeur dévorante". Jacques Ancet (né en 1942) estime, quant à lui, qu'on se contente d'écouter sous les mots le passage silencieux où s'éparpillent des images (dans "Un entre-deux sans fin"). Observateur vétilleux de la nature, Jacques Allemand (né en 1950) s'épanche "quand revient le cerf brillant/avec des yeux plein la forêt/juste un saut périlleux par-dessus/l'ovation des fougères". "Qu'advient-il entre l'écriture et la réécriture ?" interroge Cécile Glasman dans "la question". "La réécriture, allègue James Sacré (né en 1939), ne se fait plus dans le seul désir d'écrire mais dans celui de boulanger un texte déjà écrit. On pourrait peut-être dire que dans l'intervalle une pâte a levé, ou qu'un caillé a pris. Mais en fait la matière du poème n'a pas bougé, quand je l'ai laissée j'étais tout à mon plaisir d'avoir écrit et je ne voyais pas tellement le poème écrit encore. Le reprenant je ne vois plus que lui et j'ai oublié sans doute en grande partie l'agréable effort d'écriture qui l'avait écrit sur la page".

Mon enthousiasme à découvrir Contre-Allées est également fondé sur le choix éclectique et l'analyse lucide des critiques d'ouvrages et de revues réunies sous le titre "Interférences". Ainsi que sur les illustrations de couverture dues au Bruxellois Loïc Gaume (Pier de Harwich, n°29/30) et à la Nantaise Valérie Linder (n° 31/32). Un conseil en tout cas : ne prêtez pas l'un ou l'autre de ces deux numéros : on ne vous le rendrait pas.

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