Une infinie patience


Une lecture critique d'Antoine Emaz, sur le site "Poezibao", consacrée à Un petit garçon un peu silencieux d'Amandine Marembert, publié aux éditions Al Manar.
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Il n’est pas simple de toucher en mots là où la vie fait mal ; cela demande beaucoup de réserve, retenue, litote, écart… Dans ce petit livre, le titre freine déjà, atténue : « un peu silencieux ». On l’entend en écho à Une petite fille silencieuse de James Sacré, mais toute la distance tient au « un peu ». On retrouve l’écart dans le passage du rapport attendu je/tu à un rapport je/il. Et c’est bien dans cette considération de l’autre que tout se joue. Si l’autre est silence, il faut d’autant plus d’écoute pour comprendre les signes d’une langue qui passe par le corps : « il court en tous sens quadrillant le jardin la maison en une marelle aux règles inconnues « (p.39), « il s’enroule dans sa couette rit fou dans son sommeil » (p.40) Aucune dramatisation chez Amandine Marembert, plutôt une infinie patience et une attente, un accueil de ce mutisme pour entendre « le mystère des questions laissées sans réponse » par le comportement de l’enfant. Il est beau également qu’elle retourne la relation adulte/enfant. Le don, la position de pouvoir ou de savoir peut s’inverser : « il m’apprend à déchiffrer les interlignes / à soupeser un regard / ses bras et ses mains sont les panneaux indicateurs d’une ville enchevêtrée » (p.29). Le choix d’une écriture en vers libre et de poèmes très courts (3 à 5 vers) donne à cet ensemble une allure de diaporama : une suite d’instantanés s’enchaînent sans jamais se fixer, s’appesantir. Très peu de moyens sont mis en œuvre : le je du poète, le il de l’enfant, et comme seul décor la maison, le jardin. A partir de cette base très simple sont saisis des moments, des gestes, des désirs, des plaisirs, des douleurs… La vie file dans ces pages comme de l’eau ; elle irrigue mais laisse transparente cette « énigme posée aux quatre coins du jour » (p.33). L’émotion passe sans peser : on comprend peu à peu le dessin de Diane de Bournazel en couverture : un enfant-carpe. Et quel enfant, muet ou non, n’est pas carpe face à ce qui, dans le réel, lui semble inhabitable ? La force de ces poèmes tient peut-être à ce qu’ils ramènent chacun à ses propres silences, à ses façons de « garantir sa coquille ». Fragilité d’exister, fragilité de la relation à autrui, fragilité du langage… La poésie ne dit sans doute pas autre chose, mais celle d’Amandine Marembert a ici le grand mérite d’être immédiatement lisible, donc partagée, même lorsque « la conversation se montre véritablement accessoire » (p.24).
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Editions Al Manar
Alain Gorius
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