Savourer le bonheur

Une note de lecture de Valérie Canat de Chizy sur le site Terre à ciel.

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Romain Fustier, L’eau partout touche l’eau. Encres vives, 2020 et dans la chambre tes bras. Musimot, 2019
 
Romain Fustier aime publier de minces plaquettes chez de petits éditeurs. Dans L’eau partout touche l’eau (Encres vives), il cite Henri Matisse en exergue du recueil : L’espace ne fait qu’un depuis l’horizon jusqu’à l’intérieur de ma chambre-atelier. Le monde extérieur, le paysage, rejoignent l’espace personnel, familier ou intime. Il n’y pas deux mondes différents. Les textes sont compacts, relatent un voyage vers la mer, les paysages de montagne traversés, rapportent les paroles de la fillette ou de la compagne : l’étang on dirait la mer - je retrouve cette parole de ma petite le lendemain de leur surgi. Paysages décortiqués, croqués comme par un peintre, par petites touches, et en même temps se déroulant en une forme de continuité propre à l’écriture, les images perçues en éveillant d’autres, ranimant des souvenirs : la villa est toujours là avec ses mosaïques, son nom peint en façade sous les stries de la falaise.

Dans le recueil dans la chambre tes bras (Musimot), dont l’écriture est beaucoup plus épurée, aérée, l’espace du dehors rejoint celui de l’intime, du charnel. Les herbes, les lacs, les sources se font la métaphore du corps de l’aimée, et se déversent jusque dans la chambre. Il n’y a de séparation entre le paysage extérieur et l’espace de la chambre, l’espace du désir. Le paysage se confond avec le corps de l’amante, rivière naissante, lac d’altitude sont autant d’images du plaisir et de la sensualité.

Il y a une forme de jubilation, de gourmandise cher Romain Fustier, tant vis à vis de la nature, toujours prodige, que dans la relation qu’il a avec ceux qu’il aime, sa compagne, ses enfants. La joie n’est jamais bien loin, de même qu’une certaine aptitude à savourer le bonheur, ce qui n’empêche pas la nostalgie d’être parfois présente.

la voiture qui file à travers la végétation
à toute vitesse - blanc de la neige se détachant
sur les sommets sur fond de vert - je vais
en divers pays que je franchis, qui se succèdent
sans se retourner, racontant ce voyage
vers la mer en accéléré - les impatiences
d’enfant les jours de départ - je me rappelle
ces sentiments de jadis, des mois de juillets
même si nous sommes en avril - avance
la berline familiale sur les routes lentes
d’avant l’autoroute - peut-être que le bonheur
ressemble à ces moments, ces mots, fruits
que je croque, savoure encore des années après
dans cette région rose d’arbres de Judée


(L’eau partout touche l’eau)