Un léger crachin dans la bouche

Dans ce même n° 163 de la revue Décharge, Jacques Morin revient sur Infini de poche de Romain Fustier, publié aux éditions Henry.
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Un léger crachin dans la bouche. Tout Romain Fustier dans ce demi vers! Chaque page joue sur plusieurs plans à la fois, souvent double, en opposition : intérieur/extérieur, climat/humeur, près/loin... Parfois davantage qui se combinent. Le titre lui-même n'est-il pas pur oxymore? On reste constamment dans la métaphore, non pas filée, mais mêlée, un bord à bord, touche touche, qui serpente le long des quinze vers posés comme blocs, légers parpaings les uns à côté des autres avec du blanc entre eux pour tout ciment. On reste dans le verger, le potager, le pré... Et c'est le fruit, la fleur ou le légume qui enclenche le poème. A partir de là, tout se met en place, sous une forme fixe, une bonne fois pour toutes donc. C'est moins un recueil de l'oeil que de la narine. On est proche de l'herbier, avec des feuilles consignées dans un carnet avant tout olfactif. Car les sensations s'exacerbent, les odeurs, les senteurs, les parfums avant même le goût ou le toucher. Et que dire encore, si ce n'est que c'est un monde du silence, on est tellement absorbés à saisir la suavité des arômes qu'une réelle surdité s'impose. Le vers prescrit sa structure suspensive où les images sont apposées en rafales, si l'on parle des limaces, viennent nèfles invertébrées ou molosses à la carcasse mollassonne entre autres parallèles poétiques. Trimaran sémantique. L'univers est peigné à travers son lopin de mots. Le poète jardine les yeux écarquillés, la poésie sous ses pas et dans ses mains ; ils sait cueillir la beauté du jour. Cette jouissance de la vie, il la reçoit comme un don permanent. Parlant des framboisiers enfin : échalas dégingandés   ceps de vigne du vin qui colore / tes lèvres   qui tache ta bouche   aux fruits remontants / qu'elle dévore dans un baiser.