Luxuriante et luxurieuse

Jacques Morin livre une note de lecture du dernier ouvrage d'Amandine Marembert paru aux éditions Al Manar, Les cerises ne sont pas des lèvres, sur le site de la revue Texture.
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Amandine Marembert est coutumière du fait : elle mélange subtilement jardinage et sensualité, charnel et botanique. Le titre tend à faire de l’antiphrase, contrairement à ce qu’il affiche, lèvres et cerises sont bel et bien de la même chair, de la même consistance, jus et sang correspondent et la couleur les réunit de fait. Fruit à bouche, et vice-versa. La métaphore est dépassée, l’image fonctionne dans les deux sens, aller-retour entre deux entités qui finissent par se confondre dans leur éloignement relatif ou leur rapprochement souple. Les équivalences marchent d’un thème à l’autre : « mon cœur gros des pivoines effeuillées »… et quel que soit le sens : « la figue-sexe »... (Ici, le trait d’union joue son office strict). Le corps est un verger… La femme capte par toutes ses parties érogènes fleurs et végétaux qu’elle plante, cultive et cueille. C’est bien désir le maître-mot, qui allume les sens et flambe les sensations : « l’odeur blanche orange du chèvrefeuille », ou bien le nom lui-même évoque autre chose encore, ainsi « œillets » : « le parfum rose des œillades », un peu en jeu de mots, discrète paronomase. 
On est dans la couleur, les senteurs, les goûts et les touchers en même temps, à chaque instant, à chaque respiration. Le travail du potager se vit comme une forme appliquée de l’amour diffus et prolixe. La terre est ressentie telle une continuation de la peau sur une autre surface. En outre, la chair voluptueuse peut aller jusqu’à résonner à l’échelle cosmique : « Hématome bleu au cœur / dans la bourrache étoilée de quelle nuit… » Langueur et affolement se partagent les émotions de l’auteur qui incarne la création à l’état pur. Muse et déesse, la femme irradie le jardin où surgissent les tentations auxquelles tout de go succomber. L’érotisme est de mise dans cette culture de fleurs, de fruits et de poésie : « j’arrache le liseron pour délianer le désir qui m’enchaîne ». Amandine Marembert taille branches et mots, bouture roses et vers, greffe plants et verbe pour une écriture à la fois luxuriante et luxurieuse. 
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