MAINTENANT OU JAMAIS
HENRI DROGUET
Belin
(8 rue Férou – 75278 Paris
Cedex 06)
126 pages – 17 €
Amateurs
de poèmes toniques, vous voilà servis. Chez Henri Droguet, le réel cingle plus
qu’il ne caresse : « Jours chétifs et les vents à la rebiffe /
vadrouillent hantent rebuffent / la capilotade et la splendeur blessée / d’un
ciel borgne et rogneux ». Le vers s’ébouriffe, les mots se percutent, les
sons glissent en emportant tout sur leur passage. L’homme est là, dans le
paysage, face aux éléments, et il sait qu’il n’aura pas le dessus :
« le vent de la mer se lève / et nous tourmente ». Alors il lutte
avec son vocabulaire, il trace des poèmes comme on marcherait contre
l’averse : « Sempiternelle sans / origine insaisissable et volubile serpe / et c’est le gémir et l’hurlage
/ le vent tourbillonnaire débraille / immatériels fusibles plus légers que les
souffles / des escadrons monochromes anthracites ». Une poésie comme une
cure de grand air dans la langue.
NOUVELLES DU FRONT DE LA FIÈVRE
JEAN-MARC FLAHAUT
Le pédalo ivre
(44 rue Saint Georges –
69005 Lyon)
76 pages – 10 €
Si
l’on retrouve, dans le nouveau livre de Jean-Marc Flahaut, certaines
caractéristiques fondamentales de la poésie – notamment le recours au vers –
l’ouvrage se dérobe sans cesse à l’analyse. La part de fiction et la part
documentaire y semblent prépondérantes, et l’on découvre, au fil des pages, une
sorte de croisement improbable entre poème, nouvelle et récit de voyage. Le
narrateur nous embarque pour les Etats-Unis : « ça pourrait être pire
/ se réconforte la valise oubliée / de Kennedy Airport ». L’écriture est
directe, américaine, pourrait-on dire, comme un écho à Brautigan, à la
Beat Generation. Rien ne pèse, et l’auteur a le sens du détail évocateur :
« cette nuit / nos corps ont beaucoup parlé / ils avaient encore / pas mal
de choses à se raconter / ce matin / quand j’ai ouvert la fenêtre / sur Sutton
Place ». Lecture légère, rafraîchissante.
NOTOWN
SOPHIE G. LUCAS
Les états civils
(11 rue Bourguet – 84000
Avignon)
90 pages – 12,50 €
Notown,
Motown, Motor City : ce petit livre carré nous embarque pour la ville de
Détroit, dans le Michigan, aux États-Unis. Sophie G. Lucas fait de cette cité
l’emblème de la crise économique actuelle. Elle se lance dans une quête
littéraire et documentaire. Ses textes alternent avec des matériaux bruts,
extraits d’interviews, de reportages Tv, web et radio. Comment parler en poète
de la faillite économique, de la désertification industrielle, la chute
démographique ? L’écriture témoigne et interroge :
« l’impuissance de ces hommes / (les épaules disent ça) / regardant les
bulldozers / avaler les maisons ». Il est rare que la poésie s’aventure
sur ces terrains-là, mais la réalité, ici, la rattrape : « le monde à
l’intérieur / (de soi) / plutôt que dehors / essayer de retenir quelque chose /
que tout ne s’échappe pas / hors de soi ». Recueil original et ambitieux.
EN PERTE IMPURE
THIBAULT MARTHOURET
Le citron gare
(4 place Valladier – 57000
Metz)
72 pages – 10 €
Il
est toujours émouvant de lire le premier recueil d’un jeune auteur que nous
avons défendu dans nos pages. J’y retrouve des textes parus dans la revue qui
résonnent désormais au milieu d’autres, dans un ensemble plus vaste. On sent
que l’écriture se cherche, expérimente, s’essayant à des tentatives dont
certaines déboucheront sur des avenues principales. Il est fort probable qu’à
cette heure-ci Thibault Marthouret a déjà évolué, et ça ne rend que plus
précieux et touchants ces textes, dans lesquels une voix perce, un style qui
privilégie la vitesse : « La mort, c’était avant qu’on naisse ».
L’auteur a l’art du raccourci : « Quelques heures après l’annonce, je
vérifie dans le miroir : le visage d’après ta perte en porte-t-il les
marques ? ». Ou encore : « Des morceaux de toi / cavalent,
/ petits rats, sur le carrelage ». Un nouveau venu à suivre.
DERNIERS TÉMOINS
MARCEL MIGOZZI
Tarabuste
(Rue du Fort – 36170
Saint-Benoît-du-Sault)
92 pages – 11 €
La
poésie de Marcel Migozzi est juste jusqu’au vertige. Nous touchons à
l’essentiel en quelques vers, nous tenant dans le voisinage de la mort :
« solitude ce mot / sans suite //
mais quatre planches font un tout // quatre lettres font un // trou ». Le
texte perfore la page. Il est une trouée vers l’angoisse : « chacun
ses morts sous les graviers / les arrosoirs sous les cyprès // ces morts qui
furent pourtant nos / premiers lecteurs // interprètent nos silences ».
Reste l’enfance, son regret, son souvenir aigre-doux : « plus ingrat que
des miettes / oubliant le bon pain / qui date de l’enfance // voici la dernière
odeur / de brûlé de vain / vivre plus
vieux ». Mais la noirceur finit par s’habiller de lumière car, affirme le
poète, « nos corps sont toujours en voie / de transformation
amoureuse ». Un grand monsieur de la poésie française.
MORT D’UN PÉTALE
ÉTIENNE PAULIN
La Porte
(215 rue Moïse Bodhuin –
02000 Laon)
16 pages – 3,75 €
Étienne
Paulin trouve encore le moyen de nous surprendre. Citant, au détour de ces
pages, Flaubert et Verlaine, il n’hésite pas à se glisser dans un sillage de
mélancolie : « c’est à propos des jours anciens / souvent qu’on
chantonne ». L’auteur se souvient, mais sa déploration, si elle
s’accompagne de vieux airs, d’une petite musique de vers déjà entendue,
s’enracine dans une mémoire neuve dont il nous livre les soubresauts et les
hoquets : « le soleil habite / un hameau près des douves // lorsqu’il
vient tu le rates / il est trop simple // maigre allié / le seul à dire
l’enfance ». Pas
d’illusion inutile : « dérisoires cariatides / l’art imite ce qui
déjà / ne sert à rien // pourtant des mots éto- / namment glissés ». Tout
tient dans ce « pourtant ». Bien qu’il s’agisse d’un combat perdu
d’avance, la poésie est un exercice de panache. Quasi un art poétique.
Romain Fustier